Le cannabis, bientôt un monopole d’État en Uruguay

Le Point.fr – Publié le 

Une loi sans précédent dans le monde est en passe d’être votée pour organiser et réguler un marché national de la marijuana dans ce pays d’Amérique du Sud.

Une feuille de cannabis.
Une feuille de cannabis. Sojka Libor / Sipa

L’Uruguay est en passe de devenir le premier pays au monde où l’État contrôle directement la production et la distribution du cannabis. Maintenant que l’Assemblée nationale uruguayenne a validé la loi, par une courte majorité de 50 voix sur 96, après 14 heures de débats houleux, le Sénat devrait en toute vraisemblance valider cette petite révolution, le Frente ampli (FA), le parti de gauche au pouvoir, y étant également majoritaire. Les résultats du vote ont été accueillis par les applaudissements d’une centaine de partisans de la légalisation, présents à l’Assemblée.

Le projet de loi prévoit notamment que l’État « assume le contrôle et la régulation de l’importation, de l’exportation, de la plantation, de la culture, de la récolte, de la production, de l’acquisition, du stockage, de la commercialisation et de la distribution du cannabis et de ses dérivés ». Dans les faits, les particuliers pourront cultiver eux-mêmes jusqu’à six plants pour une récolte de 480 grammes par an, soit 40 grammes par mois maximum de consommation personnelle. Le projet permet également la constitution de groupements de cultivateurs, moyennant une autorisation expresse.

Un monopole d’État
Dans tous les cas, le texte prévoit que les producteurs devront payer une cotisation à l’État et accepter des contrôles, organisés par l’Institut de régulation et de contrôle du cannabis (IRCCA). La vente sera, pour sa part, constitutive d’un monopole d’État puisque seul l’Institut national du cannabis (INCA) sera habilité à commercialiser quatre types différents de marijuana (d’euphorisante à relaxante), comme l’explique El País Uruguay, toujours dans la limite de 40 grammes par mois et par personne.

L’objectif avoué de ce texte, déposé à l’été 2012 par la présidence, mais élaboré par le Parlement, où sont majoritaires les élus du FA, est de « minimiser les risques et réduire les dommages de l’usage du cannabis ». Le but « n’est pas de promouvoir la consommation, la consommation existe déjà », avait déclaré mercredi en début de séance le député Sebastián Sabini, cité par l’AFP, en présentant cette loi défendue par le président José Mujica.

Lutter contre les réseaux mafieux
Selon Sebastián Sabini, le texte vise principalement à couper les consommateurs des réseaux mafieux et à lutter contre le trafic de drogue qui « finance le crime organisé et des activités illicites comme la traite des personnes, la vente d’armes ou le blanchiment d’argent ». « Cela ne signifie pas que nous devons cesser de lutter contre le trafic de drogue, cela signifie qu’il faut le combattre dans ses aspects substantiels, sans nous en prendre à l’usager qui a 40 grammes dans la poche », a poursuivi le député.

De son côté, le député du Parti national (opposition) Gerardo Amarilla avait estimé que ce texte revenait à « jouer avec le feu ». Le principal argument avancé par les opposants à cette loi concerne le fait que le cannabis constituerait une « porte » vers d’autres drogues, comme la cocaïne notamment. « 98 % de ceux qui se détruisent avec de la cocaïne basée (du crack, NDLR) ont commencé avec la marijuana », avance ainsi le député, sans pour autant établir un lien de causalité. L’argument semble en tout cas convaincre les Uruguayens puisque d’après un sondage récent de l’institut Cifra, 62 % sont opposés à cette loi, contre seulement 26 % de partisans.

22 tonnes de cannabis
Selon le Conseil national des drogues (JND) uruguayen, 22 tonnes de chanvre sont commercialisées chaque année dans le pays, ce qui rapporte sur les marchés parallèles 30 à 40 millions de dollars. Même si le nombre de consommateurs reste stable (20 000 quotidiens, 120 000 au total sur 3,3 millions d’habitants), il est difficile d’estimer les rentrées fiscales pour l’État uruguayen, puisque le montant des taxes n’est pas encore défini et pourrait augmenter progressivement. Officiellement, les recettes provenant de la drogue seront exclusivement affectées à l’aide aux toxicomanes.

De plus, un des favoris de la prochaine élection présidentielle (2014), Tabare Vázquez, qui appartient à la majorité de l’actuel chef d’État, s’est montré peu favorable à la mesure. S’il est élu, il pourrait diminuer sa portée en augmentant fortement les taxes, ce qui pourrait de nouveau favoriser le marché noir, avec du cannabis bon marché acheté dans les pays voisins, notamment au Paraguay.

Une première mondialeLa vente par l’État uruguayen de cannabis aux consommateurs enregistrés constituerait en tout cas une première mondiale. En revanche, l’autorisation de la culture privée pour un usage personnel n’est pas inédite : elle est autorisée dans le Colorado (États-Unis), où chaque adulte a le droit de cultiver six plants à l’intérieur de sa maison. En Espagne, la loi tolère également la production de cannabis dans un cadre privé, entre personnes majeures et dans un cadre strictement non lucratif. Aux Pays-Bas, bien que techniquement illégale, la vente et la consommation de cinq grammes de cannabis par personne au maximum sont tolérées depuis 1976 dans les « coffee shops », alors que la culture et la vente en gros restent interdites et sont aux mains de groupes criminels.

La France reste pour sa part le pays le plus répressif d’Europe de l’Ouest concernant la possession, la vente et la production de cannabis. Seuls les médicaments au cannabis sont autorisés depuis un décret de juin 2013. Pourtant, cela ne semble pas empêcher les Français de fumer. L’Hexagone est ainsi « un des pays de l’UE où la consommation de cannabis dans l’année (chez les 15-64 ans) atteint le niveau le plus élevé » selon l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT). Elle se classe même au premier rang européen pour les jeunes de 15-16 ans.

Source : http://mobile.lepoint.fr/monde/le-cannabis-bientot-un-monopole-d-etat-en-uruguay-01-08-2013-1710523_24.php

Auteur: Philippe Sérié

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