Cannabis médical, bientôt le bout du tunnel ?

Atteints de pathologies diverses, des patients organisés en association depuis 2012 militent pour l’usage du cannabis médical. Et leur voix commence à porter… Pour en savoir plus sur le combat qu’ils mènent, nous nous sommes entretenus avec Frédéric Prat, vice-président de Principes actifs.

Frédéric, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Frédéric Prat :
 Je travaille en tant qu’ingénieur à l’Assurance Maladie, mais je suis aussi cofondateur de la société Chanvre avenue. Nous sommes distributeurs de cannabis français. Bien sûr, nous respectons la réglementation de 0,3 % et nous accompagnons les agriculteurs biologiques ou chanvriers dans cette production. Le but, en valorisant ce produit, c’est de valoriser en même temps les régions. Notre marque est distribuée depuis ce week-end par le réseau Bural’Zen et dans des boutiques spécialisées.

Par ailleurs, pendant trois ans, j’ai été membre du bureau du Syndicat professionnel du chanvre (SPC), aux côtés d’Aurélien Delecroix. En tant que tel, j’ai été auditionné à l’Assemblée nationale sur la création des filières chanvre bien-être CBD et cannabis médical. J’ai également été auditionné au Sénat, sur des sujets plutôt thérapeutiques, par Madame la sénatrice Esther Benbassa et j’ai fait partie des quelques intervenants interviewés le 26 juin 2019 pour apporter un avis sur l’expérimentation du cannabis médical en France. Je viens également d’être nommé vice-président de l’association Principes actifsJe suis entré dans cette filière en 2014, à l’époque où j’accompagnais ma maman sur sa fin de vie suite à son cancer. Actuellement, j’accompagne ma grande sœur de 65 ans, qui est atteinte d’un cancer des poumons.

« On ne cherche pas à soigner une maladie, mais à améliorer la qualité de vie des patients »

Quelques mots sur la naissance de votre association ?
En 2009, Principes actifs a vu le jour sous la forme d’un collectif, mais c’est en 2012 que nous nous sommes organisés en association loi 1901. Nous avons été auditionnés à deux reprises par l’Agence nationale du médicament (ANSM) au sujet du cannabis médical. Un de nos adhérents participe au comité de pilotage mis en place pour le suivi de l’expérimentation et présidé par le professeur Nicolas Authier. L’association réclame l’accès au cannabis médical sur prescription et à la discrétion du médecin traitant, sans restriction d’indications thérapeutiques, ainsi que le droit à l’autoproduction pour les malades. Nous comptons 25 membres souffrant de pathologies diverses (sclérose en plaques, myopathie, migraine chronique, cancer, troubles anxieux, maladie de Crohn, glaucome, VIH, fibromyalgie…). L’une des conditions pour adhérer à l’association est d’obtenir une attestation de son médecin traitant. On rappelle qu’on ne cherche pas à soigner une maladie, mais à améliorer la qualité de vie des patients. L’objectif est d’atténuer les effets secondaires que peuvent avoir de nombreux traitements prescrits : le cannabis médical permet de mieux dormir, d’être moins anxieux, de moins souffrir, de stimuler l’appétit… Bref, il a une réelle efficacité, prouvée dans de nombreux rapports cliniques à travers le monde. Chose importante, quand on parle de cannabis médical, il s’agit de la plante prise dans sa globalité : CBD, THC et l’ensemble des autres cannabinoïdes qui participent de « l’effet d’entourage ».

Est-ce que la position des médecins sur ce dossier a évolué ces dernières années ?
Oui, depuis que le sujet bénéficie d’une couverture médiatique, notamment avec cette expérimentation, on constate une évolution. Cependant, on a encore trop peu de médecins qui se prononcent en faveur de l’usage du cannabis médical. Je pense que la peur reste très présente par rapport à l’idée de prescrire du cannabis, du seul fait qu’on parle de cannabis, le sujet ayant été diabolisé par de nombreuses années de prohibition. Mais ça va plutôt dans le bon sens… Je connais des médecins qui étaient assez réfractaires auparavant et qui maintenant sont à l’écoute ; d’autres attendent la fin de l’expérimentation (26 mars 2023) pour se faire un avis.

Quel regard portez-vous sur le marché du CBD ?
Je suis plutôt favorable à l’usage du CBD, mais le souci, c’est que pour des personnes qui souffrent de pathologies lourdes ou de symptômes assez sévères, le CBD qu’on trouve en magasin n’est pas suffisant. Cela pose un problème d’éducation et de formation des professionnels parce que ces patients-là, ces usagers, on les retrouve aux portes des associations, que ce soit en France ou à l’étranger. Il y a effectivement une belle filière à créer pour un usage bien-être, qu’il s’agisse d’apaiser les petits maux du quotidien, de réduire les troubles de l’anxiété ou de faciliter le sommeil, mais ça doit s’arrêter là. À côté de ça, on a beaucoup de gens qui souffrent d’autres pathologies et qui prennent aussi des médicaments, or il faut savoir que le CBD interagit avec ces derniers. Donc, c’est une filière qui doit voir le jour, et j’y travaille de mon côté d’ailleurs. J’ai été membre du bureau du SPC, proche de l’AFPC, et je suis intervenu au dernier séminaire de Charles Morel (UPCBD) sur la problématique du HHC – une molécule de synthèse qui, à mon avis, n’a aucun intérêt, sachant qu’on privilégie plutôt une plante complète, naturelle. En tout cas, je défends cette filière à 100 %.

« Contrairement à ce quon préconise, on voit apparaître sur le marché des produits à base disolat »

Est-ce que vous faites une distinction nette entre THC et CBD dans le cadre de l’usage médical ?
Pour moi, parler de CBD et de THC est réducteur du point de vue de l’usage médical. Ce qui compte, c’est la plante entière : s’il n’y a pas une synergie de toutes les molécules (l’effet d’entourage), le cannabis aura beaucoup moins d’efficacité. Ensuite, concernant le CBD et le THC, tout dépend des symptômes sur lesquels on veut travailler. On sait par exemple que pour traiter la douleur, le THC est plus intéressant que le CBD. Maintenant, dans le cannabis médical, il y a une règle simple, qu’on donne aux médecins, c’est « Start slow, go slow » (« Commence doucement, vas-y doucement »). Donc on privilégie toujours des huiles au CBD, dans un premier temps, pour ensuite aller vers le THC si la première solution n’est pas satisfaisante. Par ailleurs, l’expérimentation n’encourage la prescription de cannabis médical qu’en dernière intention, dès lors que les traitements habituels sont en échec. C’est également un point à revoir car une prescription en première intention pourrait atténuer de nombreux effets indésirables. Aujourd’hui, sachant qu’il n’y a pas d’extraits de fleurs à base de THC, on a tendance à augmenter les doses de CBD, or c’est une erreur. En 2017, rappelez-vous, les gens achetaient des huiles à 5 % et aujourd’hui, on voit des flacons à 30 %. Pour moi, cette incitation à augmenter le dosage est un mauvais message porté par les boutiques car le risque, c’est de se retrouver avec des effets secondaires désagréables, même s’il n’y a pas vraiment de danger.

De plus, contrairement à ce qu’on préconise, en l’occurrence considérer la plante entière avec toutes ses molécules, on voit apparaître sur le marché des produits à base d’isolat. Pourtant, sur le plan médical, on constate une perte d’efficacité quand on utilise une huile purifiée par rapport à une huile au spectre complet, avec à la clé le risque que les patients reviennent à des traitements conventionnels. En Angleterre, des familles se sont battues, elles se sont organisées en collectifs pour démontrer cela. En ce qui concerne la filière française, l’isolat peut être produit avec ce que l’on appelle les déchets de chanvre, c’est-à-dire la sommité du chanvre textile, qui jusque-là n’était pas utilisée par les producteurs. Mais dans ce cas, on ne valorise ni la fleur, ni la filière. C’est pour cette raison que j’ai tendance à insister sur la fleur complète, les huiles complètes, parce que ça permet de valoriser toute la filière de production et la fleur avec ses principes actifs.

Est-ce que vous avez observé une évolution des comportements
en ce qui concerne les modes de consommation par rapport à la question de la combustion ?
Oui, on ne cesse de répéter que la combustion est dangereuse et n’est pas un mode d’administration médicalement valable. Je constate que de plus en plus de gens commencent à s’intéresser à la vaporisation, que ce soit avec la cigarette électronique ou les appareils qui permettent de vaporiser des fleurs séchées. Je le vois avec mon fils, qui a 22 ans. Il ne fume pas mais s’intéresse au CBD parce qu’à la base, c’était un enfant hyperactif. Il consomme du CBD sous forme vaporisée, mais en aucun cas il n’envisage de le mélanger avec du tabac pour le fumer. Ça montre bien que le message est passé. Peut-être aussi qu’il m’écoute un peu ! (Rires) Globalement, cela fait son chemin dans l’esprit des gens, mais il reste encore beaucoup de consommateurs qui pratiquent la combustion. L’association Principes actifs a d’ailleurs publié dès 2014 un livret explicatif qui permet de mieux comprendre les bienfaits de la vaporisation par rapport à la combustion, notamment les différents effets produits en fonction de la température de chauffe.

Pour finir, y a-t-il un message que vous souhaiteriez porter à travers notre magazine ?
Pour l’association, j’aimerais vraiment que l’on arrive à trouver des solutions rapidement en France. Nous sommes patients, mais si l’expérimentation est reconduite, cela signifie que beaucoup de gens vont devoir attendre encore un an. Donc il faut absolument que les choses s’accélèrent sur ce sujet.

LES OBJECTIFS DE PRINCIPES ACTIFS EN CINQ POINTS
• Informer et sensibiliser les pouvoirs publics et la population en général sur l’état des connaissances relatives au cannabis, aux cannabinoïdes et à leurs utilisations thérapeutiques reconnues.

• Soutenir les initiatives individuelles ou collectives visant à faire évoluer le cadre légal et les pratiques administratives régissant l’usage, la distribution, l’importation et la production de produits à base de cannabis et de cannabinoïdes à usage thérapeutique.

• Militer pour la dépénalisation et le droit à l’autoproduction individuelle pour un usage médicinal.

• Faciliter l’échange d’informations entre les médecins et les patients.

• Coopérer avec d’autres associations partageant des objectifs similaires et faciliter leur coordination au niveau national et européen.

Un médicament ne pouvant pas être dispensé sous forme fumable, l’association préconise d’autres modes d’administration : par inhalation, par administration orale, sublinguale, topique et rectal.

  

Source : CBDmag

Version Papier :

Auteur: Philippe Sérié

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