En matière d’addictions, la France porte un bonnet d’âne : celui de la plus forte consommation de cannabis en Europe. Alors que le débat sur sa légalisation continue de faire rage, l’idée d’un recours à usage purement thérapeutique trouve de plus en plus d’échos dans les milieux scientifiques. Pour preuve, les résultats très clairs de l’étude réalisée par le médecin lyonnais Léa Leclerc, psychiatre à l’hôpital Lyon Sud, venue détailler la position de sa profession sur cette question épineuse lors de l’émission Votre Santé du jeudi 17 février.
Les Français sont les plus gros consommateurs de cannabis d’Europe. Le débat sur sa légalisation est sur la table depuis des années, et n’a toujours pas avancé. En juin dernier, un rapport avait été remis à l’Assemblée nationale afin de proposer une légalisation encadrée et régulée. Entre l’envie de certains et la crainte des autres, le débat stagne.
Le Dr Léa Leclerc, médecin psychiatre aux Hospices Civils de Lyon, a mené une longue enquête auprès de plusieurs centaines de psychiatres sur leur vision de la légalisation du cannabis thérapeutique et/ou récréatif. Responsable des unités d’addictologies de l’hôpital Lyon-Sud, elle a répondu aux questions d’Élodie Poyade et de Philippe Frieh, rédacteur en chef adjoint du groupe Ma Santé, sur le plateau de l’émission Votre Santé du 17 février, en direct sur BFM TV Lyon.
De quoi parle-t-on lorsqu’il s’agit du cannabis thérapeutique à visée médicale ?
Dans l’enquête réalisée on différencie bien le cannabis à usage récréatif de celui à usage médicale. Le premier est utilisé pour ses effets planants et relaxants au quotidien, alors que le second a usage médical a une fonction thérapeutique. Il y a des indications très précises dans l’utilisation du cannabis thérapeutique dans les essais qui sont faits au sein de quelques hôpitaux en France. Il s’agit d’indications pour les douleurs, la prises en charge des soins palliatifs, pour le cancer, etc.
L’intérêt psychiatrique du cannabis thérapeutique
En quoi consiste l’expérimentation en cours à l’hôpital Lyon-Sud ?
Cette expérimentation concerne l’utilisation de cannabis thérapeutique en soins palliatifs. Elle a débuté il y a seulement quelques mois. Les résultats ne sont donc pas encore connus. Les patients qui vont prendre ce cannabis ont des douleurs chroniques liées à un cancer. Cette expérimentation se base donc sur des indications physiques et non psychiatriques.
En quoi le cannabis thérapeutique peut-il aider certains patients en psychiatrie ?
Le cannabis aurait un intérêt psychiatrique puisqu’il est déjà utilisé de façon récréative pour des troubles anxieux ou du sommeil. Il faut cependant rester prudent car le cannabis contient du THC (Tétrahydrocannabinol), une molécule psychoactive qui peut aggraver certains troubles psychiatriques.
Le cannabis thérapeutique peut-il être utilisé par tous ?
Il existe des indications précises pour des pathologies organiques comme des douleurs neuropathiques, des scléroses en plaques ou des épilepsies sévères. Cela ne concerne pas encore le champ de la psychiatrie, mais la question commence à se poser pour le CBD. D’après l’étude, 60% de psychiatres seraient prêts à prescrire du CBD pour des troubles du sommeil ou de l’anxiété. La question de son utilisation pour les troubles psychiatriques devient donc une véritable question que l’on se pose dans le milieu médical.
La légalisation du cannabis divise les psychiatres
Dans cette même étude 53% des psychiatres seraient favorables à la légalisation du cannabis récréatif. Ce chiffre est-il étonnant ?
Ces psychiatres favorables ont mis en avant certains arguments comme la mise en place d’un système de prévention efficace, dans les collèges par exemple. En France il y a peu de campagnes de sensibilisation avec des interventions sur le terrain, et cela devrait être développé. Ils avancent aussi la limitation de l’augmentation du THC dans les produits, responsable des dépendances et des troubles mentaux comme la schizophrénie. La régulation de ce produit sur le marché permettrait une meilleure prévention selon eux. Mais ces arguments sont bien évidemment contrebalancés.
Certains psychiatres mettent justement en avant les dangers du cannabis, notamment sur le comportement des consommateurs. Ces risques doivent-ils être pris en compte ?
Ces risques doivent absolument être pris en compte. Les psychiatres qui ont répondu au sondage en n’étant pas favorables à la légalisation du cannabis avancent des arguments forts. Ils redoutent l’impact sur la santé globale des patients, au niveau physique comme psychiatrique, ils craignent aussi l’augmentation potentielle des troubles psychotiques. Mais avant tout, ils appréhendent l’impact négatif sociétal, c’est-à-dire l’implication du cannabis dans les accidents de la voie publique, les accidents routiers, les décrochages scolaires, etc.
L’urgence est de proposer des modèles de prévention
Est-il réellement possible de réguler la légalisation du cannabis comme l’avait proposé le rapport présenté à l’Assemblée nationale en juin dernier ?
Il faut essentiellement réfléchir à un système cohérent et intelligent. La France compte une multitude de consommateurs, et finalement le modèle répressif possède ses limites. Il serait pertinent que l’on regarde les modèles qui nous entoure, comme celui du Canada. Au-delà du débat qui est à la fois politique, citoyen et médical, il faut que tout le monde s’adapte et réfléchisse ensemble.
La France sera-t-elle un jour prête à accepter la dépénalisation du cannabis ?
Il faut réfléchir en palliers. L’urgence va être de proposer des éléments de prévention. La France est le premier consommateur de cannabis d’Europe, et beaucoup de jeunes de moins de 25 ans en consomment. Il est donc important de proposer un modèle de prévention et d’intervenir auprès des jeunes avant de mettre en place un modèle qui sera révolutionnaire. La consommation de cannabis est banalisée, et peu en connaissent les effets secondaires comme les risques cardio-vasculaires ou les risques sur la santé mentale. Donc avant d’ouvrir le dialogue sur la légalisation ou la dépénalisation, il serait pertinent d’ouvrir le dialogue sur la prévention.
À SAVOIR
Le CBD est l’un des composants que l’on peut retrouver dans le cannabis. C’est un composant légèrement psychoactif, mais bien moins que d’autres. Il n’implique donc pas d’addiction et de troubles mentaux.
Source : www.ra-sante.com