Cannabis thérapeutique : une amélioration de la douleur pour 40 % des patients

L’expérimentation médicale du cannabis a été prolongée jusqu’en mars 2024. La médecin de la douleur, Emmanuelle Kuhn, fait le point sur les premiers résultats de cette étude.

Emmanuelle Kuhn est médecin de la douleur au sein du CHU de Nantes, responsable de l’unité mobile douleur, et présidente du Comité de lutte contre la douleur. Elle participe à l’expérimentation sur l’usage du cannabis médical. (©Emmanuelle Kuhn)

Commencée le 26 mars 2021 et finalement prolongée jusqu’en mars 2024, l’expérimentation de l’utilisation du cannabis thérapeutique devait initialement prendre fin en mars 2023, mais tous les objectifs n’ont pas été atteints. 

Initiée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, cette étude vise à traiter 3 000 patients pendant au moins six mois (2 500 pour l’instant, NDLR) sur tout le territoire national, rappelle la docteure Emmanuelle Kuhn, médecin de la douleur au sein du CHU de Nantes, responsable de l’unité mobile douleur, et présidente du Comité de lutte contre la douleur.

L’un des objectifs de cette expérimentation : faire évoluer la législation actuellement en vigueur en France contre la consommation de cannabis. actu Nantes fait le point avec Emmanuelle Kuhn qui participe à l’expérimentation. 

« Cette étude vise plutôt à tester la faisabilité de ce traitement »

Actu : En quoi consiste exactement cette expérimentation ? 

Emmanuelle Kuhn : Cette expérimentation est particulière, car ce n’est pas une étude de recherche classique sur l’efficacité du produit (qui sera faite à posteriori pour valider l’efficacité sur l’homme et comparer le CBD et le THC et obtenir des données sur le long terme, NDLR). 
Cette étude vise plutôt à tester la faisabilité de ce traitement en termes de fabrication, de transport, de prescription par le médecin, de délivrance par la pharmacie, de sécurité en terme d’effets indésirables ou de dépendance, ou encore de relais en ville.

Quelle est la différence entre le CBD et le THC ? 

Le CBD (le cannabidiol) et le THC (tétrahydrocannabinol) sont issus du plant de chanvre. Tous deux sont des cannabinoïdes, c’est-à-dire des substances chimiques actives qui agissent sur les récepteurs de l’organisme (système nerveux, organes, système immunitaire…). Mais ils sont également opposés sur plusieurs points. Le THC, est la substance active réputée pour ses effets psychotropes. C’est le THC qui contribue à modifier l’état de conscience du consommateur, le rendant « high ». Alors que le CBD n’a pas d’effets psychotropes. Ce n’est pas la même molécule.

Quelles sont les personnes qui sont testées depuis plus de deux ans ? 

EK : On teste la population qui pourrait le mieux répondre à cette expérimentation au vu de sa pathologie. Ce sont des personnes qui souffrent de douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, de certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes, ou de certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements, de spasticité douloureuse de la sclérose en plaques, ou des autres pathologies du système nerveux central, ou encore qui sont en situations palliatives. 
Dans la douleur neuropathique, on n’a pas beaucoup de molécules. Le cannabis médical pourrait être une troisième ligne de traitement.

« Ce n’est pas dénué d’effets indésirables »

Quels résultats observez-vous ? 

EK : Les données sont encourageantes. Pour le moment, 2 500 patients ont participé à l’expérimentation, il y en a encore 1600 qui y participent. Les doses efficaces sont obtenues en moyenne dès les trois premiers mois de l’expérimentation. 
On note une amélioration ressentie de leur état de douleur, qualifiée d’importante ou très importante pour environ 40% des patients, incluant leur capacité à effectuer des activités, à bien dormir… Il y a une tendance à l’amélioration dans cette catégorie de personnes (lire plus haut, NDLR), et il faut poursuivre. C’est une nouvelle possibilité de les prendre en charge en plus du traitement de référence, tout en étant vigilant sur l’encadrement de ce nouveau traitement. 
Ce n’est pas dénué d’effets indésirables comme des troubles de la concentration, de la somnolence, des diarrhées… Il peut y avoir un risque d’interaction avec d’autres traitements comme les anti-cancéreux notamment. C’est pourquoi, il faut bien les informer.

Quel traitement leur donnez-vous exactement et comment est-il administré ? 

EK : Le traitement se fait à base de CBD et de THC. Les médicaments sont disponibles selon différents ratios (proportions, NDLR) en THC/CBD. Soit le ratio dominant avec THC, ou CBD majoritaire, ou alors le ratio est équilibré avec 50% de THC et CBD. 
On commence généralement avec du CBD et après on ajuste de façon individuelle, on essaye de trouver la juste dose efficace suivant la tolérance de chacun. 
Le médicament est administré principalement sous forme à huiles administrées par voie orale en pipette.

« Un premier pas a été franchi dans la législation »

Où vous fournissez-vous en cannabis ? 

EK : Les fournisseurs étaient initialement à l’étranger. Mais cela va bientôt changer. C’est un des objectifs de l’ANSM : créer une filière de production française pour que cela soit pérenne en cas de problème d’approvisionnement et pour pouvoir assurer le suivi. Il existe un point de vigilance sur la sécurisation de la continuité du traitement, comme cela a été le cas pendant la crise Covid avec d’autres traitements par exemple. 
Mais depuis le 18 février 2022, un premier pas a été franchi dans la législation. Un décret a été publié au Journal Officiel autorisant l’ouverture de la première filière de culture de cannabis médicale en France. 

Qui sont les fournisseurs de cette expérimentation ? 

Le site de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé met à disposition une liste répertoriant tous ses exploitants et fournisseurs de cannabis participant à l’expérimentation. 
C’est le cas de l’entreprise pharmaceutique et de cannabis américaine Tilray dont le siège se trouve à New York. Tilray dispose de filiales en Australie, en Nouvelle-Zélande, et en Amérique latine, et produit actuellement du cannabis médical en Allemagne et au Portugal. 
L’entreprise Aurora Europe est un autre fournisseur de l’expérimentation. Sa production se fait principalement dans la province d’Alberta au Canada où la production atteint jusqu’à 500 000 kilos par an, selon Newsweed.

« Il faut donc simplifier les démarches pour les médecins traitants »

Que vous reste-t-il à faire pour cette dernière année d’expérimentation ? 

EK : En plus de la première filière française de production, il faut qu’on continue à faciliter et à fluidifier les parcours notamment le relais en ville de prescription par le médecin traitant du patient et la délivrance par la pharmacie de ville après avoir débuté le traitement à l’hôpital. Nous pourrons ainsi augmenter le nombre de patients à participer à l’expérimentation. Pour ce faire, il faut donc simplifier les démarches pour les médecins traitants et alléger leur accès à l’expérimentation en termes de temps de formation et de renseignements de données. Il y a un gros travail à faire sur le relais de l’expérimentation en ville. 
On compte également poursuivre les inclusions vers l’objectif fixé de 3000 patients, définir le statut à venir des médicaments, leurs indications et leurs remboursements, et les caractéristiques des futurs médicaments en terme de composition notamment.

Pensez-vous que la France est sur le chemin de la légalisation du cannabis ? 

EK : Un premier rapport a déjà été envoyé au Parlement en novembre 2022, un deuxième va être envoyé en septembre 2023, afin de décider de l’évolution de la législation. Le gouvernement va devoir se positionner. Il l’a déjà plus ou moins fait avec son décret du 18 février 2022 sur la production française de cannabis. 
Les Français sont les plus gros consommateurs de cannabis en Europe, alors que la législation l’interdit. Celle-ci n’empêche donc pas son risque d’usage surtout à caractère festif. 
En tant que médecin, il n’est pas de notre rôle de légaliser ou non mais de poursuivre les études afin d’en évaluer l’efficacité notamment à long terme.

Source : actu.fr/paysdela loire

Auteur: Philippe Sérié

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