CANNABIS : l’abus (de polémique) nuit gravement à la santé !

L’Académie nationale de médecine avait consacré sa séance du 25 mars 2014 au cannabis et aux nouveaux cannabinoïdes de synthèse. Nous n’avions pas réagi, tant sur ce sujet elle persiste dans des avis monothématiques qui listent des dangers et exhortent à la sanction. Celui-ci ne déroge pas à la règle, il prône une pédagogie soutenue en direction des jeunes que personne ne conteste, une vigilance particulière au sein des établissements psychiatriques et le refus de toute concession vis à vis de « ceux qui contribuent à l’expansion de cette  toxicomanie ».  Il désigne deux cibles nouvelles : les achats sur internet de graines ou nouveaux cannabinoïdes de synthèse et la vente aux mineurs du matériel permettant la culture et la consommation.

Le docteur Didier Jayle, fort de son expérience de président de la MILDT de 2002 à 2007, a répondu par un argumentaire détaillé, s’attirant une violente  diatribe d’un des académiciens, Jean Costentin, qui elle, mérite réaction. Les attaques contre Nicole Maestracci et Didier Jayle qu’elle comporte inquiètent sur une possible transformation d’un académicien en politicien populiste. Faut-il y voir  la conséquence d’une trop forte exposition aux vapeurs du CERU, ce Think tank où il retrouve le député Bernard Debré et des membres de l’Union Nationale Inter-universitaire ? C’est à l’Académie de se prononcer.

Nous  nous contenterons du débat, qui mérite mieux que ces éructations. Le premier reproche fait à cet avis est de ne pas suffisamment prendre en compte l’évolution de la société pour comprendre pourquoi les jeunes Français sont à ce jour parmi les plus gros consommateurs de cette drogue. La réponse de Costentin est pure polémique : c’est la faute à Jayle et à Maestracci!  Que peut-on essayer d’en dire ? D’abord que  l’augmentation de la consommation de cannabis se fait entre 1990 et 2000 n’a pas été limitée à la France puisqu’elle a touché dans cette période l’ensemble des pays européens. Or ces mêmes années sont celles où les sociétés européennes connaissent d’importantes transformations,  avec la montée en puissance d’un environnement addictogène, celui d’une « industrialisation du plaisir » selon l’expression d’Yves Michaud, récupération par un marketing triomphant et un marché tout puissant des idéaux libertaires des années 1960 . Ensuite qu’il y aurait beaucoup à apprendre en regardant comment chaque pays s’est adapté à ce mouvement. En France, la baisse est amorcée par Nicole Maestracci en 2002/2003, alors qu’elle laisse sa place à Didier Jayle. Elle s’accentue pendant le mandat de celui-ci jusqu’en 2007, avant qu’une reprise de la consommation soit observée entre 2008 et 2011-2012. Pour être précis, il faudrait distinguer en détail les tendances de consommation, en distinguant par exemple, l’expérimentation (essayer le cannabis pour la première fois) et la consommation régulière, il faudrait interpréter ces tendances selon l’âge : devenir usager régulier ne comporte pas les mêmes risques à 15/16 ans, à 17 ans ou à l’âge de la majorité, à fortiori chez le jeune adulte. Enfin ces tendances de consommation n’ont pas affecté toutes les régions françaises de la même manière. Mais si l’on s’en tient à l’exemple des jeunes de 17 ans et de leurs usages dits réguliers, la tendance 2008-2012 confirme cette reprise : hausse du tabagisme et de l’alcoolisation, net ralentissement de la baisse de la consommation régulière de cannabis, contrairement à nos voisins, ce qui explique le mauvais classement final.

Le deuxième angle de la critique de Didier Jayle pointe les limites d’une approche strictement prohibitive qui « ne fonctionne pas dans les pays démocratiques » et transforme les principes doctement énoncés par l’Académie en autant de vœux pieux. Costentin feint d’y voir un abandon de toute volonté de régulation et répond par un éloge du « modèle suédois », avec là encore une formule politique « là où il y a une volonté il y a un chemin ». Que ce soit Lénine ou un autre qui l’ait prononcée, cette formule sonne étrangement  dans le champ des addictions où elle entretient la confusion entre volonté et motivation comme principal moteur du changement de comportement. Quand au modèle suédois, il se caractérise certes par des niveaux d’usage de cannabis faibles… mais avec des budgets de prévention hauts, contrairement à la France ; un accès à l’alcool très surveillé, avec des horaires de ventes régulés dans des boutiques étatisées mais des problèmes de santé aigus chez les usagers les plus en difficultés, une culture de l’alcoolisation tout aussi aiguë, etc… Comparons les politiques nationales,  mais pas une seule sous un seul angle, sans prendre en compte l’ensemble des caractéristiques du modèle.

Il serait aussi intéressant de reprendre, avec un interlocuteur plus ouvert au débat, l’intérêt d’un interdit éducatif pour dissuader les usages précoces qui sont aussi les plus dangereux. Ni Nicole Maestracci ni Didier Jayle n’en ont jamais nié l’intérêt. Mais un tel interdit peut être différemment posé et n’est pas obligatoirement synonyme  de prohibition ou de pénalisation de tous les usages et de tous les types usagers. Ne pas accepter d’y réfléchir revient à se priver de trouver des solutions nouvelles.

La troisième critique n’est même pas discutée par Jean Costentin qui préfère répéter les mesures d’interdiction réclamées par l’Académie en faisant mine de croire que Didier Jayle se désintéresse des publics concernés, malades mentaux, jeunes, accidentés de la route. Or ce sont pourtant de ces orientations de la réponse publique qu’il faudrait débattre pour aider ces publics. Nicole Maestracci avait initié la nécessité de considérer tous les usagers et les différents types d’usage, tabac, alcool, cannabis et autres, sur la base de connaissances scientifiques validées. Elle avait ainsi lancé l’addictologie, réorganisant et modernisant les réponses de santé et de prévention. Didier Jayle avait créé des consultations simple d’accès, ouvertes aux jeunes et aux  familles, les Consultations Jeunes Consommateurs, anonymes et gratuites dans tous les départements, et, avec France Lert, il avait initié la première recherche clinique sur une psychothérapie du cannabis qui a depuis a été validée scientifiquement. Dans ces politiques, il s’agissait d’adapter le dispositif médico-social pour une réponse plus précoce, dès les premières expérimentations tout en répondant mieux à l’usage intensif, de soutenir  les familles et de poser des limites, tout en communiquant sur les risques. Etienne Apaire, qui présida la MILDT pour la période 2007-2012, a privilégié l’application de la loi et à la défense de l’interdit, préférant les stages collectifs payants aux Consultation Jeunes Consommateurs individualisées par exemple, communiquant largement sur les dangers des substances et sur les sanctions. Mais face aux résultats décevants, il a relancé les CJC dont Danièle Jourdain-Ménninger, la présidente actuelle, fait une des principales priorités du nouveau plan gouvernemental et de sonapproche integree.

L’expertise de l’Académie de Médecine pourrait être utile, mais elle ne saurait être exclusive. Et ses membres devraient s’interroger sur le sens de réponses aussi haineuses, dévoilant peut-être une conséquence grave de l’abus de polémique cannabis  chez certains d’entre eux : la perte de la capacité à écouter l’autre.

Auteur: Philippe Sérié

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