
Pendant des décennies, Mohamed Makhlouf a cultivé du cannabis dans la crainte constante d’être arrêté ou de voir sa récolte détruite. Aujourd’hui, à 70 ans, cet agriculteur du Rif exerce enfin son activité au grand jour. Le Maroc accélère le développement d’un secteur légal pour le cannabis médical et industriel et s’efforce d’intégrer les cultivateurs historiques qui opéraient auparavant dans la clandestinité.

Le Royaume, premier producteur mondial de cannabis et principal fournisseur de résine de haschisch, a longtemps toléré et réprimé la culture de cette plante. Celle-ci assure directement ou indirectement les moyens de subsistance de centaines de milliers de personnes dans le nord du pays. En 2021, Rabat a franchi une étape sans précédent en légalisant certaines méthodes de culture. Le pays est ainsi devenu le premier grand producteur illégal – et le premier pays à majorité musulmane – à légaliser partiellement le cannabis.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2022, l’État a strictement réglementé l’ensemble de la filière, de la semence à la vente. En 2024, plus de 3 300 agriculteurs de la région du Rif ont obtenu une licence et produit près de 4 200 tonnes de cannabis légal. Les coopératives locales transforment la plante en huiles de CBD, cosmétiques, produits pharmaceutiques et chanvre industriel destinés au marché intérieur et à l’exportation.
Pour les agriculteurs qui se sont convertis à l’agriculture légale, la sécurité demeure le principal avantage. Même si les prix au marché noir peuvent être plus élevés, travailler dans un cadre légal met fin à des années d’activités illégales, de mandats d’arrêt et de destruction des champs. La légalisation a également permis l’émergence d’un nouveau système économique et la création d’emplois dans la transformation, le transport et l’irrigation.
La transition est loin d’être achevée. Le marché légal reste trop restreint pour intégrer tous les acteurs du secteur informel. Selon les chiffres officiels, environ 14 300 hectares sont actuellement cultivés légalement, tandis que plus de 67 000 hectares continuent d’être exploités illégalement. Des tensions sont également apparues, notamment parce que certaines coopératives n’ont pas honoré leurs engagements de paiement envers les agriculteurs, ce qui a provoqué des manifestations dans certaines régions.
Les autorités reconnaissent que la réforme est progressive et semée d’embûches. Des rapports indépendants indiquent que les économies légale et illégale coexistent plutôt que de se supplanter l’une l’autre. Une grande partie de la population reste dépendante des réseaux clandestins, faute d’alternatives suffisantes ou d’un accès adéquat au nouveau système d’autorisation.
Pour Rabat, deux enjeux majeurs se jouent : d’une part, s’assurer une part du marché mondial du cannabis, en pleine expansion, et d’autre part, mettre fin à la marginalisation de la région du Rif, qui dure depuis des décennies. Partagé entre l’espoir d’un développement économique et la persistance du marché noir, le Maroc avance avec prudence, cherchant à faire sortir de l’ombre une culture ancestrale sans pour autant abandonner les cultivateurs.
Publié le 14/12/2025







