En Suisse, du cannabis sur ordonnance pour les mineurs

Les villes suisses engagées dans une réflexion sur une régulation du marché du cannabis ficellent leur projet. Elles s’orientent vers un accompagnement des «consommateurs problématiques»

Ce jeudi, les principales villes de Suisse comptent franchir un pas de plus vers une régulation du marché du cannabis. Des représentants des départements de la santé et de la sécurité de Genève, Berne, Zürich, Winterthour, Bâle et Thoune se réunissent à Berne pour ficeler un projet pilote d’association de consommateurs d’herbe. Ils auront sous les yeux un premier document de travail, élaboré par un cercle de 40 scientifiques réunis en secret en mai 2015 à l’Université de Genève.

Proposée au départ avant d’être écartée pour son potentiel explosif, l’idée d’inclure des mineurs dans l’expérience revient dans la discussion. «Nous réfléchissons à accompagner dans leur consommation des jeunes en rupture, déjà connus d’un service de santé, qui rencontrent des problèmes avec le cannabis», détaille Sandro Cattacin, sociologue et membre genevois du groupe de réflexion intervilles. Les modalités d’un tel encadrement thérapeutique restent à définir et figureront au cœur des échanges, ce jeudi.

300 à 1000 bénévoles

En ce qui concerne les adultes, le projet pilote, à ce stade, prévoit de créer des associations réunissant entre 300 et 1000 consommateurs sur une base volontaire. Il vise des personnes ayant un usage problématique du cannabis, d’autres souffrant de pathologies, qui l’utilisent déjà en guise d’automédication, mais aussi des consommateurs récréatifs. Les personnes atteintes d’un trouble psychique sont exclues. «L’objectif est d’amener l’usager à une consommation raisonnée, de lui donner accès à un produit dont la qualité et la teneur en THC sont contrôlées et de l’accompagner, avec de l’information», souligne Sandro Cattacin.

L’association donnerait accès à ses membres majeurs à du cannabis sous forme d’herbe à raison de 10 grammes maximum par jour – une quantité qui reste à déterminer – à condition qu’ils s’engagent à consommer le produit à leur domicile et à ne pas conduire sous l’effet du psychotrope. La substance proviendrait de producteurs existant en Suisse, ayant déjà obtenu par le passé des autorisations de la Confédération pour une culture destinée à un usage médical. Les coûts d’un tel projet, sur trois ans, se monteraient à 400 000 et 600 000 francs.

Les experts ont écarté l’idée de clubs où les usagers se retrouvent pour consommer, évoquée initialement à Genève. Ils recommandent plutôt de confiner la consommation à l’espace privé. «Le risque, avec un lieu où l’on fumerait un joint comme on prendrait une bière dans un bar, est de favoriser l’usage récréatif du cannabis et de se retrouver face aux mêmes problèmes qu’avec tout autre produit, comme l’alcool», explique Sandro Cattacin. Sans compter que ce type d’espace pourrait s’attirer des oppositions du voisinage.

Lutter contre le marché noir

A l’origine de ce projet, le constat d’impuissance des villes d’empêcher l’herbe de fleurir sur le marché noir. Au sein des législatifs communaux à Berne, Zürich, Winterthour, mais aussi Bienne et Lausanne, des voix réclament que soient explorées des alternatives à une répression jugée trop coûteuse et inefficace. Jetée par la fenêtre lors du refus populaire, en 2008, d’une initiative pour la dépénalisation du cannabis, l’option de réguler le marché du chanvre pourrait revenir par la porte sous la forme d’une expérimentation confinée à un ou plusieurs centres urbains.

Les villes inscrivent leur projet dans une démarche de prévention, en espérant obtenir à ce titre une autorisation spéciale de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Elles invoquent l’article 8, alinéa 5 de la loi sur les stupéfiants, stipulant que le gouvernement peut accorder des «autorisations exceptionnelles» pour la culture, l’importation et le commerce des stupéfiants s’ils sont utilisés «pour la recherche, le développement de médicaments ou une application médicale limitée». Reste à déterminer si une association de consommateurs telle qu’imaginée par les villes entre dans cette catégorie.

La prochaine étape, plus délicate, se déroulera devant les exécutifs. Sandro Cattacin compte soumettre le projet au Conseil d’Etat genevois en avril. Le même mois aura lieu la session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU sur les drogues (UNGASS). Les délégués des pays membres se rencontrent pour discuter de l’orientation à donner aux politiques en matière de drogue. La Suisse sera représentée par le ministre de la santé Alain Berset. Le Consortium International sur les Politiques des Drogues, réseau de 140 organisations de la société civile, presse l’ONU de «considérer l’option» de réglementer une partie du marché des drogues les moins nocives, comme le cannabis. La stratégie internationale adoptée à l’issue de cette session aura certainement un impact sur le débat en Suisse.

Source : letemps.ch

Auteur: Philippe Sérié

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