
Interview Par Fabrizio Dentini
Dernier grand pays européen à vouloir mettre en place un système d’accès au cannabis thérapeutique, la France a du mal à ne pas se faire peindre en teintes grotesques lorsqu’on aborde le thème de l’expérimentation de cette plante dans le domaine médical. Aujourd’hui, après une énième nouvelle déconcertante (extension de la distribution de cannabis pour faciliter le «sevrage» des participants) nous avons contacté Fabienne Lopez de l’Association des patients Principes Actifs pour faire le point.
Combien entre vos adhérents ont-ils participé à l’expérimentation ?
Aucun, soit parce que leur médecins n’étaient pas convaincus, soit il n’y avait pas de centre anti-douleurs ou les services hospitaliers concernés qui entraient dans l’expérimentation.
Nous en avions parlé à l’ANSM [Ndr. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé], mais cela n’a rien changé.
Que pensez-vous de la manière dont cette expérimentation historique a été menée ?
Elle n’a pas été trop mal organisée ni menée, par contre, et nous en avions parlé lors de nos auditions, elle était trop restreinte en nombre de pathologies et la communication auprès des médecins et spécialistes n’a pas été suffisante, ce qui a fait que beaucoup de médecins ou spécialistes n’ont pas voulu participer.
Pour l’ouverture à d’autres pathologies, on nous avait dit que cela pourrait se faire après l’expérimentation, mais on voit bien que cela risque d’être assez compliqué, alors que dans beaucoup de pays où le cannabis thérapeutique est autorisé, il y a beaucoup plus de pathologies et on n’est pas sur cinq critères comme en France [Ndr. les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, les symptômes liés au cancer ou à ses traitements, les soins palliatifs et enfin les douleurs liées à la sclérose en plaques et à d’autres maladies du système nerveux central].
Il y aussi un autre problème : l’état des lieux de la médecine en France, et ça l’ANSM ni Nicolas Authier [Ndr. médecin psychiatre au CHU de Clermont-Ferrand et président du comité scientifique de l’ANSM sur le cannabis thérapeutique] y peuvent grand-chose, on l’a vu après l’épidémie de Covid, les difficultés pour trouver un médecin ou même un rendez-vous à l’hôpital.
Quelles conséquences a eu le fait qu’autant de citoyens continuent à se soigner avec du cannabis en dehors de l’expérimentation ?
C’est une situation politique très compliquée, on a un ministre de l’Intérieur qui a décidé d’être dans la continuité de son prédécesseur : leur fameuse “place nette XXL” et leur guerre aux usagers, donc pour eux il n’y a pas de place pour un usage thérapeutique. D’ailleurs, en Polynésie il y a l’association THC (Tahiti Herb Culture) et son président Karl a passé 4 jours en garde à vue, avec 10 chefs d’inculpation dont incitation, et exercice et pratique illégal de la médecine et pharmacie, alors qu’il n’a fait que soutenir des malades gratuitement et qu’aucun d’eux ne s’est plaint, ils étaient même pour beaucoup envoyés par leur médecin. Il y a aussi Philippe du SCP (Syndicat du Chanvre Polynésien) qui lui aussi a été en garde à vue. Ils ont été traités comme des terroristes ou chefs de cartels : c’est n’importe quoi, on voit bien que c’est délirant, sachant en plus qu’il n’y a pas eu d’expérimentation en Polynésie alors que c’est la France…
Après diverses prolongations, l’essai devrait se poursuivre jusqu’en juillet prochain, afin de permettre aux patients de trouver des solutions alternatives ou de ne pas subir de conséquences négatives du point de vue du «sevrage». Comment évaluez-vous cette décision ?
Nous sommes furieux car parler de «sevrage» alors que les malades étaient sous opiacés pour la plupart, des traitements qui n’étaient plus efficaces et dont il fallait augmenter les doses à cause tout simplement d’une addiction, c’est ne pas savoir de quoi on parle. Il est incroyable que la MILDECA (Mission interministérielle de la lutte contre les drogues et les conduites addictives) puisse donner son avis, ces gens ne savent pas de quoi ils parlent, pour eux le cannabis est aussi addictif que les opiacés.
Nicolas Authier a fourni des comptes-rendus dans lesquels il était fait mention du fait que les patients qui avaient été inclus dans l’expérimentation n’avaient pas eu de problème avec une addiction au cannabis.
Et sur le fait que les fleurs de cannabis ne font plus partie de l’expérimentation ?
Ce qui se passe en France est très grave : c’est un ministre de l’Intérieur ainsi que la Mildeca qui ont pris la décision de retirer les fleurs sans aucune explication, comment peut-on accepter une telle ingérence de la part de l’Intérieur, sachant comme l’ont dit les patients, Nicolas Authier et l’ANSM, que les fleurs vaporisées étaient très efficaces, surtout en matière de douleurs : l’immédiateté de l’efficacité, contrairement à l’ingestion qui demande un peu plus de temps du fait de l’assimilation.
Source : SoftSecret – 2025-01