Cannabis et Fibrose Hépatique

Foie & Cannabis

Les fautes d’orthographes peuvent mener à des sérieux malentendus, d’où l’avantage de régler ces problèmes à l’oral. C’est ce que nous avons fait avec le Dr Hézode, jeune hépatologue de l’hôpital Henri Mondor à Créteil, auteur d’une étude sur l’impact du cannabis sur le foie intitulée « Consommation quotidienne de cannabis fumé comme facteur de risques de progression de fibrose dans l’hépatite C chronique » , dont la conclusion peut sérieusement prêter à confusion : « La consommation quotidienne de cannabis chez les patients ayant une hépatite C est à proscrire ».
Le problème, c’est que cette étude, récemment publiée dans le n° 36 de la revue Réseaux hépatite (septembre 2005), a depuis été largement reprise par bon nombre de médecins, notamment des hépatologues, dont certains n’hésitent pas à réinterpréter ses résultats en affirmant que « le cannabis est toxique pour le foie ». D’ailleurs peut-être le vôtre vous a-t-il déjà fait des remarques à ce sujet ?
À voir la couverture de cette revue de vulgarisation scientifique (voir photo), nous pensions qu’elle allait contrecarrer ladite étude puisqu’en couverture figure un magnifique pétard de chez Mr Pétard. La salive nous monte encore aux oreilles rien que d’en parler, tellement il est bien roulé. Précisions prudentes de RdR à l’attention des lecteurs et plus particulièrement de ceux du ministère de l’Intérieur : il s’agit d’admiration devant la technique de roulage de cette cigarette multifeuilles, œuvre d’un artiste, il va sans dire, vous nous l’accorderez ? Nous voudrions éviter une condamnation à quelques heures de « tige » (Travail d’intérêt général) pour incitation à l’usage ! Mais revenons-en à l’étude, et voyons ce qu’elle vaut à la lumière d’une contre-analyse comme seul G-Laën en a le secret.

Il faut d’abord rappeler le contexte et l’état des connaissances qui en ont justifié l’intérêt. Depuis vingt ans, la plupart des grands laboratoires pharmaceutiques font des recherches sur les cannabinoïdes, c’est-à-dire les 60 composants du cannabis. Quelques découvertes étonnantes, notamment celles du Pr Méchoulam en Israël, nous ont appris plus récemment que le corps humain abrite à l’état naturel 2 types de récepteurs spécifiques aux cannabinoïdes, baptisés CB1 et CB2. Des généticiens bien intentionnés ont cherché à savoir quand ces récepteurs au cannabis étaient apparus dans l histoire de l’humanité. La réponse est assez étonnante, sauf pour des usagers, puisque ces récepteurs seraient apparus environ il y a cent mille ans, c’est-à-dire juste avant que l’humain commence à parler !
Des récepteurs qui ne sont pas présents dans le foie d’une personne en bonne santé. Mais qui sont, par contre, activés par les fibroblastes, des éléments provoquant la fibrose et donc les principales lésions chroniques du foie. Dès qu’on est atteint par une maladie chronique du foie comme une hépatite virale et que la fibrose s’installe, le foie développe donc des récepteurs au cannabis, aussi bien des CB1 que des CB2.
Après avoir démontré que l’activation des récepteurs CB2 dans le foie in vitro (en laboratoire) pouvait minimiser la production de fibrose – c’est ce qu’on appelle un effet antifibrosant – l’équipe de recherche Inserm d’Henri Mondor et le Dr Hézode ont donc tout d’abord cherché à évaluer l’impact réel de cet effet antifibrosant théorique des CB2 dans le foie.
À peine avait-elle démarré son étude que la même équipe démontrait, toujours in vitro, que l’activation des récepteurs CB1 avait le rôle inverse, autrement dit qu’ils favorisaient la fibrose du foie. Il devenait alors crucial d’étudier de plus près ce qu’il en était dans la vraie vie, afin de départager l’incidence des CB1 et des CB2 dans un contexte d’épidémie d’hépatite C. Encore une histoire de pure prise de tête à la Christophe Colomb cherchant à départager qui de la poule et de l’œuf…

Une étude nécessitant un protocole assez complexe afin de pouvoir isoler l’impact réel du cannabis seul, et c’est bien là que se situent nos désaccords.
270 malades porteurs chroniques d’hépatite C ont donc recruté et répartis en 3 groupes :
– 143 personnes (53%) déclarant n’avoir jamais fumé de cannabis (« C’est bien vrai ce mensonge ? Et pourquoi t’as les yeux rouges ? ») ;
– 41 fumeurs occasionnels (15%) n’ayant jamais consommé quotidiennement, avec une consommation moyenne d’environ 8 pétards par mois (« Tiens ça me rappelle quelqu’un ! ») ;
– 89 fumeurs quotidiens (33%), avec une consommation moyenne d’environ 60 pétards par mois (« Et que le dernier ferme la porte, s’il tient encore debout et qu’il voit quelque chose au milieu du nuage ! »).
Les malades sélectionnés avaient fait plusieurs biopsies du foie, ce qui permettait de déterminer l’évolution de leur fibrose dans le temps, et donc d’examiner une possible accélération due au cannabis. D’autres causes possibles d’accélération de la fibrose (consommation d’alcool supérieure à 3 verres par jour, consommation de plus d’un paquet de cigarettes par jour, âge à la contamination, avoir plus de 40 ans, etc.) ont également été étudiés afin de ne pas fausser les résultats.

Foie et Cannabis Non fumeurs Occasionnels Quotidiens
Tous patients confondus 53% 15% 33%
143 41 89
Contamination VHC par injection de drogue 16% 86% 93%
23 35 83

 

C’est donc le mercredi 11 janvier 2006 qu’a eu lieu la fameuse interview téléphonique du Dr Hézode, rebaptisé le Dr h. avec un petit « h » car on n’est jamais trop prudent en matière de RdR pour le foie !

G-Laën : Dans votre étude, avez-vous détaillé les consommations antérieures et régulières des 54% d’usagers déclarant avoir été contaminés par injection ? S’ils ont eu recours pendant de nombreuses années à des injections de cocaïne, des sniffs d’amphétamines, avec en prime des surdosages de benzodiazépines, il y a de quoi avoir un foie particulièrement fibrosé, non ?
Dr h. : Il faut tout d’abord rappeler quels sont les types de lésions que provoquent ces produits sur le foie. La cocaïne ne provoquerait que des hépatites aiguës, il n’y a jamais eu de forme d’hépatotoxicité chronique décrite chez des usagers de cocaïne. Il m’est déjà arrivé de faire prendre en charge un usager ayant fait une hépatite aiguë à la cocaïne particulièrement sévère puisqu’il a dû être greffé du foie. Concernant les benzodiazépines, il en est de même pour ainsi dire : il s’agit d’hépatites médicamenteuses de type aiguë et d’évènements plutôt rares qui surviennent surtout chez des personnes ayant un foie déjà fragilisé par une hépatite virale ou alcoolique, le plus souvent. Mais plutôt que les produits eux-mêmes, il faudrait aussi améliorer nos connaissances sur les produits de coupes. Nous n’écartons donc absolument pas que toutes ces autres consommations aient pu biaiser nos conclusions, toutefois nous ne pensons pas qu’elles aient pu avoir une incidence importante.

G-Laën : Vos conclusions ont été reprises par bon nombre de vos collègues hépatologues qui les appliquent sans forcément les comprendre2. Nous craignons que cet argument concernant le cannabis ne serve de contrainte supplémentaire et vienne encore compliquer l’accès aux soins des hépatites pour les usagers de drogues. Bon nombre d’hépatologues ne sont pas motivés pour prendre en charge les usagers, il ne faudrait donc pas qu’ils interprètent à tort cette étude. Qu’en dites-vous ?
Dr h. : Nous devons rappeler très clairement que notre conclusion est qu’un malade atteint d’hépatite C chronique doit s’abstenir, s’il le peut, de fumer tous les jours du cannabis. Ce message s’adresse surtout à des patients non-répondeurs aux traitements par interféron pour lesquels il faut minimiser toutes les causes d’aggravation de la fibrose.
À ceux qui viennent me consulter pour initier un traitement et qui me demandent si le cannabis pose un problème vu que ça les aide, je dis très clairement qu’il y a des malades que le cannabis semble aider face aux nombreux effets secondaires d’un traitement à base d’interféron. Je dis aussi qu’il n’y a pas de contre-indications majeures car ce qu’il faut absolument favoriser à ce moment-là, c’est l’observance au traitement et arriver à ce que la malade tienne jusqu’au bout.
Si notre étude démontre une possible toxicité hépatique du cannabis, il faut rappeler que nous ne pouvons toujours pas en expliquer les mécanismes et que cette première doit être complétée par d’autres travaux.
Même dans notre groupe de malades consommant quotidiennement du cannabis, certains n’avaient pas du tout d’accélération de fibrose. Notre étude concerne uniquement des malades d’hépatite C chronique. Il ne faut donc pas faire l’erreur de penser qu’on aurait démontré que le cannabis est hépatotoxique chez une personne en bonne santé. C’est faux ! On a clairement démontré qu’on ne voyait pas de différence entre le groupe de non-fumeurs et celui des fumeurs occasionnels (8 pétards par mois en moyenne). En usage occasionnel, le cannabis fumé ne semble avoir aucune incidence péjorative, au moins en ce qui concerne la progression de fibrose dans l’hépatite C.

Des conclusions qui semblent très claires, non ? Elles pourront vous aider à calmer le jeu et à réduire les risques. En effet, il ne faut pas confondre le p’tit stick léger du soir pour nous aider à mieux dormir, nous les malades d’hépatite C, et les énormes « douilles de bang à la Skunk » que vous aspirez gloutonnement dès le matin à jeun avant d’en griller plusieurs par jour. C’est plus du tout les mêmes types de risques pour le foie, mais aussi pour le frigo, le portefeuille, le voisinage et surtout, le commissariat qui pourrait avoir à supporter vos jérémiades jusqu’à plus d’heure, sous prétexte que le cannabis ne serait finalement pas hépatotoxique !

G-Laën

Auteur: Philippe Sérié

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