22 janvier 2018 Par Louise Fessard
En France, la justice continue de condamner les patients, parfois atteints de maladies chroniques lourdes, qui utilisent le cannabis pour se soigner ou soigner un enfant. Nous publions les récits de cinq personnes, dont certaines ont écopé de prison ferme.
La France a autorisé le 5 juin 2013 par décret « la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché à des médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés ». Mais cinq ans plus tard, aucun médicament à base de cannabinoïde n’a encore été commercialisé.
Des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) nominatives sont délivrées au compte-gouttes pour le Marinol, un médicament contenant du tétrahydrocannabinol de synthèse, dans certains cas bien précis (douleurs neuropathiques centrales, nausées et vomissements postchimiothérapie, ou maigreur pour les malades du sida). Seules 400 ATU ont été délivrées depuis 2005.
Faute de filière légale, les malades se débrouillent donc comme ils peuvent en achetant à l’étranger ou en cultivant eux-mêmes leurs plants de cannabis. Nous publions les récits de cinq personnes qui utilisent des cannabinoïdes pour se soigner ou soigner leur enfant. Certaines ont été condamnées, parfois à de la prison ferme.
Corine, 50 ans, cultivait du cannabis pour soulager les douleurs liées à sa spondylarthrite ankylosante. Elle été condamnée à deux ans de prison, dont un an ferme, en première instance, puis dispensée de peine en appel.
Corine, 50 ans, est atteinte d’une spondylarthrite ankylosante « particulièrement invalidante et douloureuse », écrit son médecin, apparue en 2007 après la naissance de son dernier enfant. C’est-à-dire que ses articulations, vertèbres et côtes se soudent peu à peu, provoquant à terme une insuffisance respiratoire. Ce qui provoque des crises et des douleurs allant jusqu’à la faire chuter au sol.
Cette maladie inflammatoire se traite par des médicaments anti-inflammatoires. Mais ces derniers sont incompatibles avec les médicaments anticoagulants que Corine reçoit par ailleurs pour soigner sa thrombophilie. Combinés, ils peuvent provoquer une hémorragie. Pendant un temps, Corine a donc dû alterner les deux traitements, deux semaines l’un, deux semaines l’autre. « J’avais des douleurs épouvantables, j’en pleurais la nuit, dit-elle. J’ai rencontré une personne accidentée de la route, qui soulageait ses douleurs avec du cannabis. Elle m’a donné dix graines. »
Corine, qui habite dans le sud de la France, plante les graines de cannabis dans des pots dans son jardin et au bord de sa fenêtre, pour voir s’il s’agit de plants mâles, impropres à la consommation, ou femelles. Un matin d’août 2013, « on sonne », raconte-t-elle. « C’étaient douze gendarmes, les pots étaient juste derrière eux, pas cachés. » Corine leur explique en vain qu’elle est malade et ne supporte plus la douleur. « En garde à vue, ils m’ont dit que c’était pire que d’avoir commis un crime, ils m’ont traitée comme une délinquante », se souvient-elle, encore choquée. Son père, âgé de 80 ans et également atteint de spondylarthrite ankylosante, ainsi que sa sœur sont interrogés pour savoir comment ils se soignent.
Après enquête, Corine est condamnée par un tribunal correctionnel à deux ans de prison, dont un avec sursis pour « usage illicite de stupéfiants, détention non autorisée, offre ou cession non autorisée ». Elle n’a pas pu assister à l’audience, ne pouvant supporter l’heure de trajet en ambulance nécessaire pour se rendre au tribunal. Selon les certificats et expertises médicales que nous avons pu consulter, Corine est handicapée avec une invalidité reconnue à 80 %, elle se déplace avec une canne et ne tient pas la station debout.
Le juge d’application des peines de sa juridiction refuse sa demande de suspension de peine. Une première expertise médicale suggère même « une prise en charge directe en milieu hospitalier carcéral ». Corinne l’a vécu comme un acharnement. « La substitut du procureur m’a dit : “Je vous promets, je vous ferai rentrer”, dit Corinne. Quand on n’a jamais eu affaire à la justice, c’est épouvantable. J’ai cru que je pourrais être comprise, que j’étais face à des gens qui avaient fait des études, mais c’était un mur : “La loi, c’est la loi.” On m’a même fait des reproches par rapport à mes enfants, comme si j’étais une mauvaise mère et qu’on allait me les enlever. »
Le couple a six enfants, dont deux âgés de 8 et 9 ans qui vivent encore à la maison. En mars 2017, la cour d’appel de sa juridiction lui accorde finalement une suspension de peine pour quatre ans pour motif médical, au vu d’une nouvelle expertise – que Corine a dû elle-même payer – « contre-indiquant toute mesure d’incarcération » au vu de sa « poly-pathologie ». Le port d’un bracelet électronique est également écarté, car il « ne ferait qu’accroître la dureté des conditions de vie » de Corine, indique la cour dans sa décision.
Aujourd’hui, Corine soulage ses douleurs par une huile de cannabis (avec du cannabidiol associé à un peu de THC) commandée sur un site internet néerlandais. « Je fabrique moi-même mes gélules avec cette huile et on m’a aussi montré comment utiliser un vaporisateur quand je suis en crise, dit-elle. Ça va beaucoup mieux, je ne prends plus aucun antalgique. Ça met comme un filtre entre moi et mes douleurs. Je les sens toujours, mais plus loin, moins aiguës. »
Un certificat de son rhumatologue de l’hôpital de la Conception à Marseille, où elle est suivie, indique que face à l’inefficacité des traitements habituels, il est « tout à fait envisageable de pouvoir lui proposer des substituts de types cannabinoïdes qui peuvent tout à fait contrôler ses phénomènes douloureux et améliorer son sommeil ». « Il m’a dit que si nous étions au Canada, il m’en prescrirait », affirme Corine.
Elle ne comprend pas pourquoi le cannabis médical reste interdit en France, « alors que nous sommes entourés de pays qui l’autorisent et qu’on nous prescrit bien pire ». Un des médecins de Corine lui avait en effet prescrit du Tramadol (un opiacé) et de l’Acupan pour soulager ses douleurs. Deux médicaments autorisés, mais qui ont complètement « shooté » cette femme. « Avec les opiacés, j’étais complètement sous emprise, je tombais à 17 heures et me réveillais en crise à 2 heures du matin. Je n’avais plus de vie de famille. »
Elle a dû consulter un addictologue à Marseille pour se sevrer peu à peu de ces produits licites. « On enlevait un quart de cachet toutes les trois semaines, se souvient-elle. Je faisais des malaises, je tombais, je me suis même fracturé la main. » Aujourd’hui, elle aimerait qu’on lui laisse « le peu d’énergie qu’il [lui] reste pour [s]e consacrer à autre chose [qu’à lutter contre la répression – ndlr] ».
Paola Renne soigne son fils, âgé de deux ans et demi et atteint d’une épilepsie résistante, grâce à de l’huile de cannabidiol.
Né en avril 2015 dans l’Essonne, Leandro souffre d’une épilepsie sévère d’origine génétique, dite « épilepsie partielle migrante du nourrisson », qui concernerait une centaine d’enfants en France. Les premières crises se sont manifestées en rentrant de la maternité par des gestes bizarres, puis se sont multipliées, jusqu’à atteindre une centaine par jour. « Au départ, il levait un bras, une jambe, faisait une grimace », décrit Paola Renne, sa mère, commerciale dans le bucco-dentaire.
Depuis le diagnostic d’une mutation génétique sur le gène KCNT1, l’enfant est suivi par le centre de référence épilepsies rares à l’hôpital Necker à Paris. Une quinzaine de médicaments antiépileptiques ont été tentés, mais aucun « n’a donné d’efficacité claire au niveau des crises », constate dans un compte-rendu la professeure Rima Nabbout, coordinatrice du centre. Pire, ces traitements ont provoqué de nombreux effets secondaires. « Sous Rivotril (benzodiazépine) avec du Valium, oui, ça calmait les crises, mais Leandro dormait tout le temps », dit Paola Renne. Le petit garçon n’a plus la force de téter et doit être alimenté par sonde.
Ses parents décident alors de demander un protocole d’arrêt des antiépileptiques, ce qui fait baisser le nombre de crises de « 100 à 30 par jour ». Ils découvrent sur Internet qu’aux États-Unis, plusieurs enfants atteints d’épilepsies rares et pharmaco-résistantes sont traités avec succès par une huile à base de cannabidiol (CBD).
Ce principe actif du cannabis a été popularisé en 2013 par un reportage de CNN racontant l’histoire de Charlotte Figi, une petite fille de cinq ans vivant dans le Colorado et atteinte du syndrome de Dravet, une forme rare d’épilepsie d’origine génétique. De 300 crises par semaine avec plusieurs arrêts cardiaques mettant en danger le développement de son cerveau, l’enfant est passée à deux ou trois crises par mois, a appris à parler, marcher et faire du vélo.
« On a d’abord pris ça à la rigolade », se souvient Paola Renne. Les parents de Leandro sollicitent leur médecin, qui leur parle d’essais cliniques en cours. « Il y a une possibilité de voir un traitement à base de cannabis sur les crises de Leandro », leur confirme par écrit en août 2016 Rima Nabbout, évoquant les études financées par le laboratoire britannique GW Pharmaceuticals sur les effets du cannabis dans les cas d’épilepsie. Les parents attendent, mais rien ne vient.
Le déclic a lieu après la diffusion d’un reportage de M6 sur un petit garçon français atteint du syndrome de Dravet. Après l’émission, Paola Renne contacte sa mère et, sur ses conseils, achète l’huile au dosage recommandé (20 doses de CBD pour une de THC) sur un site internet au Colorado. Depuis le début du traitement en mai 2017, Leandro « fait encore une dizaine de crises par jour, mais elles sont moins fortes », dit Paola Renne. « Il a aussi gagné en motricité, même s’il ne tient pas assis. Il réagit aux guili-guili, déglutit et peut donc manger normalement. Selon la professeure, ça peut être parce qu’il grandit, mais quand nous avons diminué les doses de CBD, ça a provoqué une augmentation des crises. »
Le couple a exercé dans le milieu pharmaceutique. Paola a été préparatrice en pharmacie, puis déléguée pharmaceutique pour un laboratoire. « Ça nous a aidés à ne pas avoir peur au début du traitement, car nous sommes très seuls, dit Paola Renne. On ne peut s’appuyer que sur les réseaux sociaux et les expériences à l’étranger. Nous aimerions pouvoir être suivis par des médecins dans le cadre d’un essai. »
Même si l’huile de cannabidiol utilisée est en dessous du seuil légal de 0,20 % de THC, son utilisation est illégale en France, selon le professeur Nicolas Authier, président de la commission des stupéfiants de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). La loi française autorise uniquement la culture, le commerce et l’utilisation industrielle de 21 variétés de cannabis expressément listées et contenant moins de 0,20 % de THC (à des fins vestimentaires, alimentaires ou cosmétiques par exemple). Et cette autorisation ne vaut que pour leurs « fibres et graines », donc pas pour les fleurs dont sont extraits les principes actifs.
Mais cela pourrait changer. Le laboratoire GW Pharmaceuticals, qui produit l’Epidiolex, une forme liquide de cannabidiol, a annoncé fin décembre 2017 avoir déposé une demande d’autorisation de mise sur le marché pour ce médicament auprès de la Commission européenne. En France, une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative d’Epidiolex a été délivrée en 2017 par l’ANSM « chez un patient présentant une forme particulièrement grave d’épilepsie ».
Le laboratoire britannique GW Pharmaceuticals s’appuie sur les résultats encourageants d’une étude publiée dans le New England Journal of Medicine en mai 2017 et qu’il a lui-même financée. L’essai a été mené sur 120 enfants de deux à dix-huit ans souffrant du syndrome de Dravet, aux États-Unis et en Europe.
L’administration de 20 milligrammes de cannabidiol par kilo dans un groupe test pendant 14 semaines a permis de réduire la fréquence des crises de convulsion d’au moins 50 % chez 43 % des patients, contre seulement 27 % dans le groupe ayant reçu un placebo. Chez trois des patients, ces crises ont complètement disparu. Les principaux effets secondaires relevés ont été la somnolence et une augmentation des enzymes du foie.
Annabelle Chavanac, 41 ans, atteinte d’un cancer du sein, utilise une huile de cannabidiol pour soulager les effets secondaires d’une chimiothérapie.
Annabelle Chavanac, institutrice de 41 ans à Mayotte, est atteinte d’un cancer du sein. Pour qu’elle soit mieux soignée, son mari, leurs trois enfants et elle sont partis à La Réunion en mai 2017, où elle a subi une opération chirurgicale et une chimiothérapie. « La chimiothérapie l’a épuisée, explique son mari Laurent, éducateur de 47 ans. Elle avait du mal à se lever, a perdu six kilos en deux semaines. » Fumeur occasionnel de cannabis pour le « côté festif », il décide de « braver la loi » et de l’initier au vapotage. « Ça créait des crises de rire, avec tous les effets indésirables du THC », dit-il.
Alors Laurent se renseigne sur Internet et achète sur un site néerlandais des huiles de cannabis riches en cannabidiol (CBD), réputé ne pas avoir d’effets psychotropes contrairement au THC. « On a contacté un médecin espagnol via ce site, qui nous a conseillé des gouttes de CBD qu’Annabelle met sous la langue le matin », dit-il. « Au niveau appétit, l’amélioration a été flagrante, estime Annabelle. Ça m’a permis de récupérer et stabiliser mon poids. Et ça m’a aidée à m’endormir plus paisiblement. Après la chimio, je passais des nuits à ne dormir que trois ou quatre heures tout en étant très fatiguée. »
Après une radiothérapie cet été, l’oncologue a annoncé à Annabelle le 31 octobre 2017 une « rémission complète ». Dans son examen, le médecin note que la patiente « signale la consommation régulière pendant son traitement de dérivés du cannabis avec un bénéfice sur l’état général de récupération des traitements ». « Les réactions des médecins que nous avons vus sont plutôt bonnes, ils ne nous ont jamais demandé d’arrêter la cure, mais ils ne demandent pas de détails non plus », explique Laurent. Il a acheté une tente et du matériel pour produire sa propre huile de cannabis au lieu de se fournir à l’étranger. Annabelle continue à en consommer, car ils ont lu des études sur de possibles effets bénéfiques contre les métastases.
« On a l’impression d’être des délinquants, dit Laurent. Quand nous sommes partis de Mayotte, j’ai mis de l’herbe dans ma valise pour Annabelle et j’imaginais les douaniers me faisant m’allonger par terre et m’arrêtant. Alors que je ne fournis personne, c’est juste pour nous. » Pour cet éducateur, « il faut que les politiques arrêtent de se moquer de nous avec leur projet d’amende. Moi, à 17 ans, j’ai pris des grosses bourres avec des copains, on a titubé dans la rue devant les gendarmes sans jamais être arrêtés, mais si je fume un joint en me baladant dans la rue, je peux prendre une amende ? L’alcool rend les gens complètement stupides et dangereux sur la route, alors que le cannabis n’empêche pas de réfléchir, d’être créatif, d’écrire un livre. Il faudrait au moins permettre aux malades de se soigner, d’aller chez le pharmacien dire “j’ai une sclérose en plaques, quelle herbe est la meilleure pour moi ?”. Si je ne m’étais pas renseigné, si je n’avais pas cultivé, j’aurais dû acheter du cannabis dans la rue sans en connaître la composition ».
Nathalie, 44 ans, cultivait du cannabis pour soigner sa spasmophilie. Elle a été condamnée à une amende délictuelle de 800 euros.
Nathalie enseigne le chant choral à des enfants. Cette musicienne de 44 ans, mère de deux enfants, nous reçoit avec son conjoint dans sa petite villa en région marseillaise, encore choquée de la perquisition vécue quelques semaines plus tôt, début septembre 2017. « Je suis assez respectueuse des flics, mais là ils ont joué aux gros bras, dit-elle. Au moins dix gendarmes sont arrivés à 8 heures du matin comme des cow-boys, ils ont fouillé partout, dans la cave, la chambre des enfants, et très agressifs comme si j’étais une trafiquante. Heureusement les enfants étaient à l’école. Une gendarmette m’a lancé “Quel exemple vous donnez à vos enfants !”, mais qu’en sait-elle ? Je ne fais pas de prosélytisme, j’ai tout à fait conscience que ce n’est pas un produit inoffensif. »
Dans une petite serre fermée à clef au fond du jardin, Nathalie cultivait depuis trois ans une vingtaine de pieds de cannabis, grâce à des graines sauvages qu’on lui a données en Guadeloupe pour leurs vertus médicinales. Elle fume environ deux joints par jour pour soigner sa spasmophilie. « Il n’est pas très fort, je ne suis pas défoncée, je ne vais pas vendre dans les quartiers, je n’ai jamais eu d’accident de la route, je n’ai jamais bu une goutte d’alcool, je ne nuis à personne ! Je me disais qu’au pire, les gendarmes me demanderaient d’arracher les pieds. C’est une injustice insupportable de venir me jeter la pierre. »
Placée en cellule de garde à vue, elle est relâchée « à midi, à l’heure de la pause déjeuner ». Elle demeure révoltée par les réflexions des gendarmes. « Celui qui m’interrogeait m’a dit : “Madame ce que vous avez fait c’est un crime, c’est comme un viol” », dit-elle. Jugée selon la procédure du plaider-coupable ou comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, elle a été condamnée le 25 octobre 2017 à une amende délictuelle de 800 euros, auxquels sont venus s’ajouter 400 euros de frais d’avocat et 100 euros de frais de procédure. « C’est allé très vite, les magistrats ont pris en compte ma spasmophilie, il s’agissait plus de constater que j’étais une personne de bonne moralité que de parler du délit. »
Ses crises de spasmophilie sont apparues à l’âge de quinze ans, après qu’elle a vu son père mourir devant elle d’une crise cardiaque. Très handicapantes sur le plan des relations sociales, elles se manifestent par des tremblements, puis des crampes et crises de tétanie, notamment de la mâchoire, ce qui l’empêche de parler. « Quand la crise est vraiment forte, je peux perdre connaissance, je ne peux pas me permettre ça devant les enfants avec qui je travaille », explique Nathalie. À quinze ans, une psychiatre lui prescrit des benzodiazépines, un anxiolytique puissant classé dans certains pays dans la liste des stupéfiants du fait de son effet d’accoutumance. « On m’a shootée le plus légalement du monde, on a même le droit de conduire avec, alors que si je fume un joint, je suis une délinquante ! », dit-elle. Ces médicaments ont réduit de façon drastique ses crises, mais avec « une nausée permanente, des trous de mémoire, perturbations du sommeil, etc. ». « Je ne fais plus de crise, mais je ne peux plus rien faire d’autre non plus », décrit Nathalie.
Elle a depuis tenté sans réussite de nombreuses thérapies et décrit « un long calvaire » jusqu’à sa découverte du cannabis à l’âge de 25 ans, à Montréal. Nathalie a choisi de planter par souci éthique : « En tant qu’ex-Marseillaise, je connais les ravages que fait le cannabis dans les quartiers et je refuse d’aller acheter à des gamins. » L’autre raison est plus prosaïque, le cannabis vendu étant trop fort en THC quand on ne cherche pas « la défonce ». « On ne sait pas ce qu’on achète dans les quartiers, dit-elle. Je mange bio, je suis respectueuse de l’environnement, je ne veux pas fumer de la merde. »
Elle juge incompréhensible l’interdiction du cannabis « alors qu’il est moins toxique que le tabac ou l’alcool ». « On est dans une société qui laisse couler l’alcool à flots, constate-t-elle. Quand je vois le nombre de copains qui se défoncent à l’alcool, puis prennent la voiture avec leurs gamins, j’aimerais comprendre pourquoi le cannabis est interdit. Quelqu’un qui fume un joint, au pire il va s’endormir sur son canapé, il ne va pas taper sur sa femme ou tuer quelqu’un sur la route. »
La légalisation du cannabis permettrait selon elle de mieux contrôler le produit, sa distribution, les acheteurs, ainsi que d’aider ceux qui ont un problème d’addiction. « Cela permettrait de faire une vraie éducation. Vous croyez que c’est le minot de cité qui va refuser un client parce qu’il a moins de 18 ans ? Et moi, j’aimerais savoir si scientifiquement le cannabis a un réel impact sur les crises de spasmophilie ou si c’est un effet placebo. »
Jauffrey, 35 ans, plantait du cannabis pour soulager des douleurs lombaires aiguës causées par un accident du travail. Il a été condamné à quatre reprises à de la prison ferme et sa voiture a été saisie et détruite.
Jauffrey, 35 ans, consomme du cannabis pour soulager des douleurs dorsales à la suite d’un accident du travail survenu en avril 2007. Travaillant alors comme aide-palefrenier, il s’est blessé en déchargeant à la fourche des bottes de foin. Plusieurs opérations plus tard, il souffre toujours d’une « hernie discale avec douleurs lombaires aiguës », dit son dossier médical.
À la longue, l’Alsacien, qui habite à Brumath, supporte de moins en moins les médicaments antidouleurs. « Ixprim, Imovane, Xanax, et morphine quand j’ai vraiment très mal, détaille-t-il. L’Imovane est un décontractant/somnifère. Moi j’ai besoin de bouger, je veux travailler, j’aime bricoler. Et je devenais agressif alors que je suis plutôt quelqu’un de rigolo, de bonne humeur. » Un an après son accident, un ami fumeur suisse lui fait goûter des biscuits au beurre de “skunk”, une variété de cannabis. L’effet aurait été immédiat. « Un quart d’heure après, j’étais libéré, je ne ressentais plus la raideur, je pouvais m’accroupir. Mon médecin traitant, que je voyais une fois par semaine tellement j’allais mal, m’a dit : “Essaie, mais fais attention à toi.” » Jauffrey achète le matériel nécessaire et se lance dans la culture pour produire son propre beurre de cannabis. « Sur le marché illégal, l’herbe est à dix euros le gramme, moi j’ai besoin de 40 à 50 grammes par mois, je n’ai pas cette somme. » Il explique consommer du cannabis « doux » à « 10-15 % maximum de THC » tout de même. Il aimerait essayer les variétés avec du cannabidiol (CBD), mais n’en a jamais trouvé.
Début 2013, embauché chez Ikea, il se bloque à nouveau le dos en portant un carton sur une échelle. C’est peu après que les gendarmes de Brumath débarquent chez lui à la suite d’une altercation avec sa cousine, qui habite sur le même palier. Les gendarmes découvrent six plants de cannabis dans la chambre de Jauffrey. « J’étais à nouveau sous Acupan (puissant antidouleur), je commençais à peine une nouvelle production, dit Jauffrey. J’ai été honnête, je leur ai tout raconté. » Après 24 heures de garde à vue, il passe une nuit en détention provisoire à la maison d’arrêt d’Elsau. « Immonde, j’avais un matelas de dix centimètres au sol, raconte Jauffrey. Je suis resté assis sur une chaise toute la nuit tellement j’avais mal. » Il est condamné à trois mois de prison ferme en comparution immédiate le 21 mars 2013 par le tribunal correctionnel de Strasbourg pour acquisition, détention, emploi et usage de stupéfiant. La peine est convertie en 90 jours-amende à 10 euros. « J’ai pris sur ma rente d’accident du travail pour payer », dit Jauffrey.
Il recommence à cultiver « immédiatement en sortant de détention, car je n’avais pas le choix pour soulager mes contractures musculaires ». « J’ai rénové une maison au noir, le gars m’a donné son matériel en échange, car les gendarmes m’avaient tout enlevé », explique-t-il. En octobre 2014, les gendarmes sonnent chez lui pour perquisitionner à propos d’un vol de remorque. Un prétexte, selon Jauffrey. « En fait, ils avaient déjà la remorque, que j’avais achetée sur le Bon Coin et entreposée chez mes grands-parents, c’était pour pouvoir fouiller chez moi. J’avais six plants en floraison et vingt boutures à trier entre plants mâles et femelles. »
Le 18 février 2015, Jauffrey est condamné par le tribunal correctionnel de Strasbourg à quatre mois de prison ferme pour détention, emploi et usage de stupéfiants en récidive. Le juge d’application des peines note qu’il explique « consommer du cannabis dans un but thérapeutique afin de soulager des douleurs, notamment dorsales, importantes » et le place sous bracelet électronique. Jauffrey recommence à cultiver, en empruntant de l’argent pour acheter le matériel nécessaire.
Le 6 juillet 2016, les gendarmes, venus l’expulser de son logement pour loyers impayés, découvrent 38 plants dont 13 en floraison dans son garage. « Heureusement, ils n’ont pas regardé le congélateur, il y avait du beurre de cannabis qui m’a permis de tenir un moment », dit Jauffrey. Après 24 heures de garde à vue, il est condamné à quatre mois ferme pour détention et emploi de cannabis en récidive.
Alors qu’il n’a pas encore purgé cette peine, les gendarmes l’interpellent à nouveau le 15 mars 2017 vers 22 heures, avec 1,6 gramme de cannabis dans sa voiture lors d’un contrôle routier. « Il y avait une odeur dans la voiture, je venais de fumer, car j’étais hébergé chez mes grands-parents et je ne pouvais pas fumer chez eux », explique Jauffrey. Le 5 avril 2017, il est condamné pour usage de stupéfiants, conduite en ayant fait usage de stupéfiants et détention d’une lampe Taser (sans pile). Il écope de quatre mois de prison ferme et de six mois d’annulation du permis de conduire. Sa voiture est confisquée et détruite. « C’est dégueulasse, je n’ai plus rien, dit Jauffrey. La voiture, je l’avais achetée 350 euros et j’avais fait 700 euros de réparation dedans avec les sous gagnés grâce à un travail en mi-temps thérapeutique. Je venais de changer les plaquettes de frein et le pare-brise. »
Il redoute un placement sous bracelet électronique. Séparé de sa compagne, il a la garde de son fils un week-end sur deux. « S’ils me mettent un bracelet électronique, sans voiture, je ne pourrai plus aller le chercher, car je devrai être rentré chez moi à 17 heures et ça ne colle pas avec les horaires de train », dit-il. Jauffrey vit désormais chez sa mère, qui à 55 ans cumule un travail dans les télécommunications et un autre dans une pizzéria le soir. « Je n’ai rien à cacher, ma mère comprend », dit-il. Il travaille comme couvreur chez un ami, qui l’a embauché en CDD pour qu’il puisse « payer ses factures ». Ses douleurs ont empiré.
Jauffrey demande la légalisation du cannabis « au moins pour les personnes qui en ont besoin ». « Le mieux serait de faire un marché régulier avec un taux de THC faible à 5 %, comme dans les années 1970, dit-il. Aujourd’hui, on atteint des taux de THC énormes au marché noir. »
Source : Médiapart