« Cannabis light »: faut-il se méfier du CBD, partiellement légal en France?

 

Contrairement au cannabis « traditionnel », le CBD affiche un taux de THC de moins de 0,2% contre environ 15% dans l’herbe ou le shit généralement consommée (photo d’illustration). afp.com/Justin Sullivan

Alors que le tribunal de Marseille a condamné les responsables de Kanavape pour avoir commercialisé une e-cigarette au cannabidiol (CBD), L’Express fait le point sur cette molécule à la mode, issue du cannabis.

En trois clics Diego a acheté du cannabis sur un site internet en Suisse. « Je l’ai reçu en quelques jours par la poste, sans problème », raconte-t-il à L’Express. Ce trentenaire consomme du « cannabis cannabidiol (CBD) », une « herbe médicinale relaxante mais pas psychotrope » à la mode.

Depuis plusieurs années, et plus particulièrement depuis quelques mois, des entreprises françaises ou suisses tentent de profiter d’un flou juridique pour commercialiser ce cannabis sous forme d’herbe ou de liquide pour cigarette électronique. Ces produits affichent des taux de THC, la substance psychoactive, presque anecdotiques: moins de 0,2% (conformément à la législation française) contre environ 15% dans l’herbe ou la résine « classique ». Son taux de CBD est en revanche bien plus élevé.

Cette molécule est-elle une drogue, une substance « anti-stress » ou un produit à usage médical, tel que le présentait la société Kanavape en commercialisant en France un liquide de e-cigarette au CBD? Alors que le tribunal de Marseille a condamné ce lundi ses deux responsables à 18 et 15 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende et de dommages, L’Express fait le point.

Le CBD ne « défonce » pas

Le CBD est, comme le tétrahydrocannabinol (THC), issu des plants de cannabis. Comme le THC, c’est un cannabinoïde, c’est-à-dire « une substance chimique qui active des récepteurs du système nerveux central, périphérique, d’organes ou encore du système immunitaire », explique à L’Express le professeur Nicolas Simon (1), président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA). Mais contrairement au THC, le CBD n’a pas d’effets psychotropes. En d’autres termes, il ne fait pas « planer ». Diego, tout comme Raoul (3), un autre consommateur interrogé par L’Express, le confirment « le CBD ne défonce pas du tout. »

Les autres effets, eux, restent plus mystérieux. Si les recherches se multiplient ces dernières années, les scientifiques estiment ne pas avoir encore suffisamment de recul. Les conclusions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a organisé une réunion d’experts en pharmacodépendance en novembre 2017, reflètent la prudence de la communauté scientifique internationale.

« Les preuves scientifiques montrent que le CBD n’est pas susceptible de créer une dépendance contrairement à d’autres cannabinoïdes, comme le THC (…) À l’état pur, le CBD ne semble pas présenter de danger [pour la santé] (…) il n’est donc pas nécessaire de le classer comme substance réglementée », ni de l’assujettir « à un contrôle international strict », écrivent les chercheurs. Le cannabidiol pourrait même posséder « une certaine valeur thérapeutique pour les crises épileptiques et maladies assimilées », reconnaît l’autorité de santé, se basant sur de récentes études menées sur des animaux et des humains, comme celle publiée en mai dans le prestigieux New England Journal of Medicine (2).

Une molécule aux vertus prometteuses

D’autres études très sérieuses ont aussi identifié des « preuves préliminaires » de propriétés anti-inflammatoires et anti-dépresseur du CBD, mais aussi de son efficacité dans le traitement de la maladie d’Alzheimer ou de certains cancers.

Mais il est encore trop tôt pour estampiller le cannabinoïde « médicament miracle » comme le vantent certains de ses promoteurs. D’abord, l’OMS refuse de recommander le CBD pour l’usage médical… Tout comme elle refuse de clamer que ce n’est pas une drogue. Elle invite d’ailleurs « les législateurs nationaux » à déterminer eux-mêmes la légalité -ou non- de la substance. L’organisation insiste enfin sur la nécessité « de mener d’autres études » pour « obtenir plus de preuves » sur ses effets. Elle promet ainsi « un examen complet des substances liées au cannabis » d’ici mai prochain » et une analyse complète du CBD en particulier d’ici juin.

« La plupart des études ont été menées à partir des plantes [de cannabis], sauf qu’elles contiennent plusieurs types de cannabinoïdes, pas seulement du THC ou du CBD, explique le professeur Nicolas Simon. Dans ces études, on observe donc la somme de tous les effets des différentes molécules, ce qui rend toute conclusion difficile ». Quant aux récentes études portant sur la molécule pure du CBD, « le potentiel semble énorme et les perspectives de recherches sont extrêmement intéressantes, mais on manque de recul », résume-t-il.

Pour autant, certains de ses patients ne tarissent pas d’éloges sur cette substance, que l’ont peut retrouver, à différents dosages, dans certains cannabis thérapeutiques autorisés dans plusieurs pays. « L’un d’entre eux, atteint d’une maladie très douloureuse, me dit que le CBD qu’il achète en liquide pour cigarette électronique serait la seule substance qui le soulage, alors qu’il a testé de nombreux antidouleurs classiques, même des opiacés », relève le spécialiste. Raoul, qui souffre de migraines régulières, confirme: « ça calme vraiment le mal de crâne ». « Mais peut-être que c’est l’effet combiné du CBD avec d’autres molécules, dont le THC, on ne sait pas, pondère Nicolas Simon. Une chose est sûre, il faut que les autorités desserrent l’étau sur la question du CBD pour faciliter la recherche. »

Les autorités mal à l’aise

Car si la France a, comme d’autres pays, assoupli sa réglementation concernant le cannabidiol, sa position est loin d’être claire. Les récentes déclarations des autorités relèvent d’ailleurs de l’opération d’équilibriste.

En novembre dernier, l’Agence du médicament, se prononçait clairement contre le CBD, même dans les liquides pour cigarettes électroniques. La Direction générale de la santé, elle, affirmait quelques jours plus tard dans Le Parisien que la détention, la fabrication, le transport de cannabis et de ses dérivés étaient bien interdits, mais que les liquides d’e-cigarette CBD bénéficiaient d’une dérogation si leur taux THC est en-dessous de 0,2%. Le ministère ne disait en revanche pas dit un mot sur les autres produits proposés en ligne.

 

Capture d’écran du site de la société suisse CBD420, qui commercialise des produits dérivés de cannabis fort en CBD, mais faible en THC. Capture CBD420

Des sites internet suisses vendent en effet du CBD sous forme de « têtes » de chanvre pour faire des « infusions », des « résines comestibles » -indissociables à l’oeil nu de leurs cousines illégales, l’herbe et le shit chargés en THC. Ils proposent également des huiles, du chocolat ou des baumes. Légal ou pas?

La question semble mettre les autorités mal à l’aise. Interrogés par L’Express, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies botte en touche, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, elle, renvoie vers la Direction générale de la santé… Qui n’a pas encore répondu à nos questions.

Un business qui « marche sur des oeufs »

Un flou qui explique probablement pourquoi la société suisse CBD 420 a pu écouler deux lots de son herbe CBD Blue Dream à deux distributeurs français, en octobre dernier, avant de voir sa deuxième livraison « d’une quinzaine de lots » bloqués à la douane pendant plusieurs semaines, comme le rapportait France Soir. Interrogés par L’Express, les douaniers français assurent que « les fleurs de cannabis, faibles en THC ou pas, sont interceptées et détruites quand elles sont découvertes ». Les lots de Blue Dream ont donc probablement subi le même sort, même si notre interlocuteur n’était pas en mesure de le confirmer.

Daniel -qui préfère ne pas donner son nom de famille- responsable de Sweet Weed, un concurrent de CBD240 interrogé par L’Express, mise uniquement sur la vente directe aux particuliers. A ce jour, les douanes françaises n’ont saisi aucun de ses colis, assure-t-il. La Poste, en revanche, en a « étrangement égaré » quelques-uns.

 

08/01/2018 à 13:58

Source : lexpress.fr

 

Auteur: Philippe Sérié

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