Cannabis pour vapoteuse : «On ne sait pas si c’est inoffensif pour la santé»

Nathalie Richard, spécialiste à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), s’inquiète de la prolifération des liquides à base de cannabis pour cigarettes électroniques.

À l’ANSM, Nathalie Richard est directrice adjointe des médicaments de la douleur et du système nerveux central. Nous avons souhaité l’interroger dans le cadre de notre enquête sur les liquides électroniques à base de cannabidiol, une des molécules du cannabis. Nous nous en sommes procurés en toute légalité, en boutiques. Le produit se trouve également en achat sur Internet, au grand des médecins…

La vente de CBD est-elle autorisée en France ?

NATHALIE RICHARD. Ce composant du cannabis n’est légal chez nous que sous forme de médicament. Par exemple, le Sativex, qui en contient, a reçu une autorisation de mise sur le marché en 2014, même s’il n’est toujours pas commercialisé en France. Associé avec du THC, la substance psychoactive du cannabis, ce produit s’est montré efficace pour lutter contre les spasmes musculaires dans la sclérose en plaques. Des études européennes sont actuellement en cours sur l’épilepsie grave. La cigarette électronique, elle, n’est pas considérée comme un médicament, par conséquent la commercialisation et l’achat de ces e-liquides au CBD sont totalement interdits.

Pourtant, ils sont en vente libre…

On en a bien conscience. Cela nous pose un vrai problème. En juin 2015, on avait déjà abordé ce sujet avec la commission des stupéfiants de l’Agence du médicament. C’est inquiétant. On en voit de plus en plus sur le marché. Des gélules au CBD contre la douleur sont aussi vendues sur Internet. Les fabricants surfent sur l’idée que l’on peut consommer ce produit en toute légalité. Ils évoquent des effets thérapeutiques prouvés et donnent de faux espoirs aux malades. Certes, cette molécule est intéressante, mais son utilisation détournée est scandaleuse et hallucinante. Aujourd’hui, on sait seulement que le CBD agit, par exemple, sur la vigilance, qu’il augmente la température corporelle, joue sur le sommeil. Mais son mécanisme d’action n’a pas été clairement identifié. On ne sait pas s’il est inoffensif pour la santé.

Savez-vous que certains vendeurs en magasin le présentent comme un substitut au cannabis ?

C’est extrêmement grave, dangereux et archifaux. Il ne faut donc surtout pas alterner entre le vapotage de ces e-liquides et la consommation de cannabis. En 2015, nous avions fait analyser ces e-liquides. Non seulement les résultats révélaient que les dosages indiqués sur certains flacons étaient faux mais ils contenaient même du THC, la substance, responsable de l’effet de défonce ! C’est du charlatanisme.

Certains emballages indiquent « Fabriqué en France ». Comment l’expliquez-vous ?

On ne peut pas répondre à cette question. Dans l’Hexagone, certaines variétés de chanvre, sans THC, sont cultivées à des fins industrielles. Elles servent à fabriquer du textile et des isolants. Cette réglementation est très encadrée. Est-ce que cet usage est détourné pour produire du e-liquide au CBD ? C’est impossible de le dire. On n’en sait rien.

Comment comptez-vous faire respecter l’interdiction ?

Nous ne sommes pas les seuls à décider. La Répression des fraudes peut aussi être impliquée. On est en train de travailler sur ce problème. Si on a la preuve que ce produit est dangereux, on prendra une décision de police sanitaire, c’est-à-dire qu’on interdira sa vente et sa consommation. Aujourd’hui, on avance pas à pas.

Ce que disent les fabricants

 

Au téléphone, un interlocuteur de chez Liquideo, l’un des fabricants de ces e-liquides, l’assure, pas inquiet : « Le CBD est totalement légal. » « Vous êtes sûr ? » interroge-t-on. Il hésite, puis lâche : « En tout cas, ce n’est pas illégal. ». Lionel Jean-Marie, responsable de la marque Greeneo, lancée il y a un mois, reconnaît, lui, un flou juridique : « La France n’a pas encore statué sur ce sujet. » De là à fabriquer ces produits au sein même de l’Hexagone ? Pas tout à fait. Selon Lionel Jean-Marie, l’extraction de cette molécule se fait, en réalité, en Europe, souvent en Espagne. « La poudre arrive ensuite dans nos deux laboratoires dans le XIXe à Paris et dans l’est de la France où elle est mélangée avec d’autres composants et les arômes. » Même réponse du côté du fabricant Vap’Fusion, qui les vend sur Internet : « Le CBD vient d’Espagne puis il est assemblé dans notre laboratoire de l’Yonne. » Le magasin en ligne, qui en écoulait 1 par mois, il y a un an, en vend désormais… 10 par jour !

 

 

Source : leparisen.fr

Auteur: Philippe Sérié

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