Cannabis thérapeutique : vers une autorisation de mise sur le marché ?

Le cannabis à usage médical est actuellement évalué dans le cadre d’une expérimentation nationale. Au terme de cet essai, une généralisation du cannabis thérapeutique pourrait être envisagée. Toutefois, cette médecine complémentaire interviendrait seulement dans les situations où les patients n’ont pas d’autres recours thérapeutiques.

Se dirige-t-on vers une autorisation du cannabis thérapeutique  ? Depuis mars 2021, une expérimentation est menée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) sur le cannabis à usage médical. Elle concerne environ 3 000 patients.

Cinq situations ont été retenues pour inclure les patients dans le protocole : les douleurs neuropathiques*, certaines formes d’épilepsie sévères, certains symptômes rebelles**en oncologie liés au cancer ou à ses traitements, la spasticité douloureuse*** de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central et enfin, lessituations palliatives****.

Le cannabis testé chez des personnes en situation d’échec thérapeutique

Ce traitement n’est prescrit qu’en cas d’échec des traitements précédents. Il vient compléter des thérapies déjà existantes. « Quoi qu’il en soit, le cannabis médical se positionne dans des situations réfractaires, c’est-à-dire dans des cas de maladies sévères pour lesquelles la médecine est en échec thérapeutique », précise Nicolas Authier, médecin psychiatre, spécialisé en pharmacologie, addictologie et traitement de la douleur, au CHU de Clermont-Ferrand. Il préside le comité scientifique qui assure le suivi de l’expérimentation.

Dans le cadre de cette expérimentation, les professionnels de santé bénéficient d’une formation afin de prescrire ou de délivrer du cannabis thérapeutique. La composition de ce dernier varie en fonction des différentes substances actives : le THC (tétrahydrocannabinol) ou le CBD (cannabidiol). Cette molécule possède des propriétés relaxantes, tandis que le THC est un psychotrope qui peut affecter le fonctionnement du cerveau et entraîner une addiction. Le cannabis prescrit peut être majoritairement composé de CBD ou de THC ou encore former un mélange de ces substances. L’absorption se fait par voie orale ou sous forme de fleurs séchées à inhaler.

Le cannabis à visée médicale permet de soulager certains patients

L’expérimentation n’est pas une étude comparative. Elle vise avant tout à évaluer si l’usage du cannabis médical peut être généralisé. « Il n’empêche que certains patients, qui n’étaient pas soulagés par d’autres thérapies, vont mieux grâce à ce traitement-là. Plutôt que de laisser les gens souffrir ou s’auto-traiter, on essaie de les soulager avec des précautions d’emploi et des produits de qualité », déclare le Pr Nicolas Authier.

Grégoire Oudot, médecin de la douleur à Reims, supervise des patients pour l’expérimentation. Selon lui, le cannabis thérapeutique présente un intérêt pour la qualité de vie des patients. « En soins palliatifs, le cannabis est plutôt utilisé comme un traitement global de confort. Il a peu d’effets sur la douleur, mais les personnes vivent mieux avec. »

Le cannabis thérapeutique pourrait ainsi faire office de médecine complémentaire efficace. Sans être un traitement miraculeux, il représenterait une nouvelle alternative pour certains patients. « On veut surtout aider les patients concernant la fatigue, les nausées, les vomissements ou l’anxiété », ajoute Grégoire Oudot.

Quels sont les contre-indications et les effets indésirables du cannabis thérapeutique ?

Tout comme les bienfaits, les effets indésirables dépendent de chaque patient. Il s’agit principalement de troubles neuropsychiatriques et digestifs. En cas de surdosage, le cannabis a un effet sédatif et peut induire de la somnolence ou des vertiges. Une exacerbation anxieuse, des angoisses et des troubles du sommeil sont parfois notés. Il peut également provoquer des effets psychotiques, tels que de la paranoïa.

Le cannabis ne doit pas être prescrit dans les cas d’insuffisance rénale ou hépatique sévère, ni chez les personnes qui présentent des troubles psychotiques, tels que la schizophrénie. Il est également contre-indiqué chez les patients qui ont une maladie cardio-vasculaire active, une hypertension non traitée ou qui auraient fait un accident vasculaire cérébral (AVC) dans les douze mois précédents. Le THC contenu dans le cannabis peut notamment avoir des conséquences sur la tension artérielle ou la fréquence cardiaque.

Le cannabis étant un stupéfiant, son usage implique des précautions d’emploi particulières. « Il y a une contre-indication formelle à la conduite automobile, ce qui empêche beaucoup de patients d’être introduits dans le protocole », informe Anne Blanchard, engagée dans l’expérimentation en tant que médecin au service de médecine physique et réadaptation du CHU de Lille.

Les commerces de CBD empiètent sur la médecine

De nombreuses personnes se tournent vers les boutiques de CBD, une molécule contenue dans les fleurs de cannabis. Les produits commercialisés sont souvent présentés sous forme d’huile ou de fleurs à fumer. « Le problème de ce commerce, c’est qu’il empiète largement sur la thérapeutique. Ce qui est gênant, c’est d’avancer des allégations médicales autour du CBD qui ne sont pas démontrées », condamne Nicolas Authier, médecin psychiatre.

Ce CBD commercialisé pose notamment problème car il peut interagir avec d’autres médicaments. Il est donc susceptible d’altérer le traitement de certains patients, comme le déplore Gisèle Chvetzoff, spécialisée en médecine palliative au centre Léon Bérard de Lyon. « En cancérologie, il y a des interactions majeures avec l’hormonothérapie, les thérapies ciblées et beaucoup d’autres médicaments. Sauf que les gens qui vendent le CBD en boutique ne le savent pas », prévient-elle. C’est la raison pour laquelle les professionnels de santé doivent connaître les posologies du cannabis thérapeutique et analyser les potentielles interactions entre médicaments.

Bientôt une autorisation du cannabis thérapeutique ?

Certains médecins émettent des réserves sur le cadre de l’expérimentation et l’efficacité du cannabis. « J’aurais préféré qu’on fasse de vrais essais thérapeutiques avec une évaluation beaucoup plus rigoureuse », regrette par exemple la Pr Gisèle Chvetzoff. « En l’état, je ne vois pas comment cela peut se faire avec un protocole aussi compliqué. Que ce soit au niveau médical ou pharmaceutique, il y a tellement de contrôles et d’étapes… », signale à son tour le Dr Anne Blanchard.

D’après Nicolas Authier, ce temps d’expérimentation permet justement de se projeter dans un projet de légalisation et de résoudre plusieurs questions. Notamment celles du statut du produit et de son remboursement. « Il faut aussi préparer la formation des professionnels de santé le plus possible parce que si on légalise ces médicaments et que personne n’est formé, personne ne les prescrira », éclaire-t-il.

Au sujet de l’efficacité du cannabis, il indique : « Les médicaments à base de cannabis sont prescrits par des médecins et dispensés par des pharmaciens. Ils sont donc de qualité pharmaceutique. Cela va permettre de proposer une réponse à un patient qui souffre. Même si c’est efficace dans 30 à 40 % des cas, ce sera déjà beaucoup. »

* Les douleurs neuropathiques sont provoquées par une atteinte du système nerveux qui affecte le cerveau, la moelle épinière ou les nerfs. Il peut, par exemple, s’agir de sciatique chronique.

** Ces symptômes peuvent être la douleur, la fatigue, les nausées ou encore la perte d’appétit.

*** La spasticité se manifeste par des contractions brusques et involontaires des muscles.

**** Situations dans lesquelles les patients sont atteints d’une maladie incurable. Les soins palliatifs ont pour objectif d’améliorer leur qualité de vie.

  • ANAÏS DANIEL
  • CRÉDIT PHOTO : GETTY IMAGES

Source : essentiel-santé-magazine.fr

Auteur: Philippe Sérié

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