Ces questions que vous vous posez sur la 1e expérimentation de cannabis médical en France

La France va expérimenter le cannabis thérapeutique pendant deux ans dès 2020. Qui en bénéficiera ? Quels produits seront prescrits ? Comment les patients pourront-ils se les procurer ? Décryptage.

La France va lancer une phase d’expérimentation visant à explorer les effets thérapeutiques du cannabis sur les symptômes de certaines pathologies.
ARTUR WIDAK / NURPHOTO / AFP

L’Assemblée nationale a voté le 25 octobre 2019 un amendement autorisant officiellement une expérimentation de l’usage de cannabis médical en France dès 2020. Cette période d’essai du cannabis à visée thérapeutique faisait débat depuis des années dans l’Hexagone et a finalement été approuvée. Qui bénéficiera de l’expérimentation ? Quels produits seront prescrits ? Le marché français est-il en retard par rapport aux autre pays ? Notre décryptage.

1) Qu’est-ce que c’est exactement le cannabis et comment agit-il dans le cerveau ?

Le cannabis est une plante qui contient des centaines de molécules, les cannabinoïdes, dont deux sont particulièrement notables pour leurs effets psychologiques et physiologiques : le tetrahydrocannabinol (THC), et le cannabidiol (CBD). Malgré leurs nombreuses similarités, il est important de les distinguer car ils n’ont pas la même influence sur le corps et l’esprit.

Le THC et le CBD ont la même composition atomique mais une conformation différente qui leur confère des propriétés chimiques singulières. Ils interagissent avec le système endocannabinoide impliqué dans la régulation de la communication entre les cellules de l’organisme et dans d’autres fonctions métaboliques qui maintiennent l’équilibre homéostatique du corps comme les réponses immunitaires, les humeurs, le sommeil, l’appétit, la mémoire et bien d’autres mécanismes cognitifs. Le système endocannabinoide comprend deux types majeurs de récepteurs : CB1 et CB2, avec lesquels le THC et le CBD n’ont pas la même affinité.

La substance psychotrope, ou psychoactive, du cannabis, c’est le THC, qui provoque la sensation d’euphorie caractéristique du dit « high » recherché par les consommateurs récréatifs. Le THC interagit avec les récepteurs CB1 et CB2 localisés dans le cerveau et dans le reste des systèmes endocannabinoide et nerveux. Lorsque les récepteurs CB1 d’un neurone sont activés par une molécule de THC, ils relâchent dans la synapse une panoplie de neurotransmetteurs, dont la sérotonine et la dopamine, qui atteignent le neurone suivant. C’est cette intoxication qui provoque le sentiment de « planer ».

Le CBD n’est pas psychoactif car il n’a aucune affinité avec les récepteurs CB1 et CB2 et ne peut pas s’y attacher directement. Il interagit cependant indirectement avec CB1 et CB2, modifiant leur conformation de façon à ce que le THC ne puisse plus s’y attacher. Le CBD se lie toutefois à d’autres récepteurs de sérotonine mais ne provoque pas d’intoxication et donc pas de « high ».

La plante de cannabis contient des feuilles et des fleurs. © TILRAY

2) Quels sont les bénéfices du cannabis à visée thérapeutique ?

Le cannabis récréatif et le cannabis médical se distinguent par leur composition : le premier est plus concentré en THC car il est le seul à permettre d’atteindre le « high » recherché, et le second contient beaucoup plus de CBD, mais toujours une petite quantité de THC. Les degrés de concentration de ces deux substances varient d’un produit à un autre et surtout d’une pathologie à une autre, car les symptômes ne se traitent pas de la même façon.

Le cannabis médical à dominance de THC présente des effets psychoactif, analgésique, antiémétique (qui agit contre les vomissements et les nausées), anti-épileptique et anti-inflammatoire. Il aide également à relaxer les muscles, calmer les crises et stimuler l’appétit. Quant aux produits plus concentrés en CBD, ils sont également analgésiques, relaxants, anti-épileptiques et anti-inflammatoires mais aussi anxiolytiques, neuroprotecteurs, antioxydants et antipsychotiques. Le THC et le CBD sont indissociables et les deux substances présentent des bénéfices thérapeutiques. Ils n’ont pas exactement les mêmes effets et n’agissent pas à travers les mêmes circuits (CB1, CB2 et d’autres récépteurs), leur présence est donc complémentaire et les deux sont requis pour optimiser les pouvoirs thérapeutiques du cannabis. Le phénomène d’intoxication qui accompagne le THC implique la nécessité de bien contrôler les doses de ce cannabinoïde dans les produits mais il ne faut toutefois pas chercher à en éliminer toute trace.

Le bienfait premier du cannabis dans le cadre médical sera son potentiel analgésique pour soulager les douleurs. Son effet antiépileptique pour calmer les crises intenses et pharmacorésistantes sera également étudié.

3) Qui a donné le feu vert à l’expérimentation en France ?

La dernière autorisation a été délivrée le 25 octobre 2019 par l’Assemblée nationale. Olivier Véran, Rapporteur général de la Commission des Affaires Sociales et médecin neurologue, a défendu le projet d’amendement visant à expérimenter l’usage réglementé du cannabis médical, déclarant dans un communiqué de presse : « Le cannabis thérapeutique en tant que député, j’y suis favorable, en tant que médecin neurologue, j’en suis convaincu ! ». Cette annonce survient quatre mois après que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a approuvé l’initiative d’expérimentation.

En septembre 2018, l’ANSM avait mis en place un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) missionné pendant un an afin d’ »évaluer la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France. »  Les 13 experts, sous la direction du président psychiatre et pharmacologue Nicolas Authier, ont assidument analysé dans cette optique la littérature scientifique disponible sur le sujet. Ils ont également étudié les expériences d’autres pays et auditionné des patients et des professionnels de santé. Les premières conclusions de décembre 2018 étaient favorables à l’utilisation du cannabis a visée thérapeutique dans certaines indications et c’est lors de cette séance qu’a été proposée une phase d’expérimentation. Le CSST a rendu son avis définitif en juin 2019 a l’ANSM qui l’a approuvé, et qui s’est engagée depuis lors à préparer, avec les différents services de l’État concernés, les modalités techniques de mise en œuvre de l’expérimentation.

4) Quel est l’objectif de cette expérimentation ?

Pendant deux ans, les recommandations du CSST vont être évaluées en situation réelle. La viabilité des conditions de prescription et de délivrance du cannabis à visée thérapeutique proposées par le CSST va être passée au crible par un comité de suivi pluridisciplinaire, composé de représentants des patients et de professionnels de santé. « L’objectif premier de cette expérimentation n’est pas d’évaluer l’efficacité de ces préparations mais plutôt d’identifier dans quelle mesure les traitements pourront effectivement être accessibles pour les patients », précise Nicolas Authier qui appuie sur le besoin d’adapter le cadre médical à une potentielle légalisation.

Après les six premiers mois de mise en place, les patients commenceront à être contactés, un processus de recrutement qui durera six mois également. Ces patients seront suivis pendant toute la durée de leur traitement qui durera au moins six mois et les six derniers seront consacrés à l’analyse approfondie des données recueillies par le comité et par l’ANSM. Un rapport final sera envoyé au ministère de la Santé qui se prononcera alors sur l’implémentation définitive de ce système en France. Il va donc falloir patienter encore un peu pour obtenir des réponses.

5) A qui s’adresse-t-elle ?

3.000 patients en France pourront participer à cette expérimentation sur une base de pur volontariat. Celle-ci sera accessible aux patients en « impasse thérapeutique » qui ne trouvent aucun soulagement dans les traitements thérapeutiques actuellement disponibles. Les malades visés par cet essai médical sont ceux qui souffrent de douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles, de certaines formes d’épilepsies pharmacorésistantes, de symptômes rebelles en oncologie comme les effets secondaires de la chimiothérapie (nausées, vomissements, anorexie…), de spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central comme la maladie de Parkinson. Cette sélection est basée sur les recherches effectuées par le CSST qui ont révélé que « les douleurs chroniques résistantes aux traitements habituels, les douleurs neuropathiques notamment, représentent souvent plus de 50 % des cas d’utilisation du cannabis thérapeutique dans les pays qui ont légalisé cet usage. » « En France, on estime que 7 % de la population est touchée par cette affection », précise Nicolas Authier à France Assos Santé.

6) Comment les patients se procureront-ils le cannabis à visée thérapeutique ?

Seuls des médecins spécialisés pourront prescrire les traitements. Ceux-ci auront suivi formation préalable obligatoire via des plateformes de e-learning en plus de leur spécialisation en neurologie ou en médecine de la douleur. Les prescriptions initiales se feront dans des centres hospitaliers mais les patients pourront se réapprovisionner dans des pharmacies de ville une fois que leur traitement sera stabilisé et que leur suivi aura été renseigné par le médecin dans un registre national électronique de suivi des patients.

7) Quels produits de cannabis seront-ils prescrits ?

Les différents produits prescrits pourront s’inscrire sur un vaste spectre de formes allant de la fleur de cannabis elle-même, séchée, a des tisanes à base de cannabis. Certaines formes sont toutefois plus adaptées au traitement de certains symptômes. Pour un effet immédiat, ce sont les formes sublinguales et inhalées qui seront préconisées comme l’huile et la vaporisation de fleurs séchées. Si l’effet recherché est plus long, les formes orales seront privilégiées, dont les solutions buvables et les capsules molles d’huile. Éventuellement émergeront des patchs, des infusions et même des crèmes, et le cannabis à visée thérapeutique se diversifiera encore d’avantage. Il ne sera toutefois jamais question de prescrire du cannabis sous forme fumable et il est important de « faire la différence entre un usage thérapeutique de préparations pharmaceutiques […] et un joint […] obtenu illégalement en deal de rue ».

Cinq différents ratios de THC/CBD seront mis à disposition de manière à permettre la prescription de traitements adaptés et spécifiques aux symptômes de chaque patient : THC 1:1 CBD, THC 1:20 CBD, THC 1:50 CBD, THC 5:20 CBD et THC 20:1 CBD.

Différentes formes de cannabis © VOISIN / PHANIE / AFP

8) Le marché français du cannabis est-il en retard ?

La légalisation du cannabis est une démarche interne à chaque pays qui adopte ses propres législations, s’inscrivant ou non dans l’élan de la communauté internationale qui s’ouvre progressivement à la consommation de cannabis. Cette plante peut être consommée dans différents contextes par des consommateurs aux besoins très distincts, que l’on considère soit récréatifs, soit thérapeutiques. Ces deux usages du cannabis ne jouissent pas du même statut dans les articles juridiques et pénaux nationaux.

En 2013, l’Uruguay a initié le mouvement de légalisation du cannabis à usage récréatif. Le Canada a suivi fin 2018. Ces deux pays sont les seuls à avoir autorisé la possession privée et la consommation de cannabis à des fins récréatives dans des lieux publics. Les législations quant à la consommation récréative du cannabis varient sur un spectre très vaste allant de la légalisation totale, comme au Canada, a l’interdiction absolue en passant par la légalisation dans des lieux privés seulement ou par la dépénalisation sans légalisation. La France ne semble pas encore prête à entamer une telle démarche législative et maintient la lourde sanction d’une année d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende pour consommation. Les nuances sont propres à chaque État.

Quels sont les pays qui autorisent le cannabis médical ?

Le cannabis à visée thérapeutique est, lui, beaucoup plus répandu dans les textes de loi dans le monde. En effet, une trentaine de pays permettent déjà la consommation de cannabis dans le cadre d’un traitement médical, dont 19 pays européens sur 28, un train que la France va à partir de 2020 tenter de rattraper grâce à son projet d’expérimentation sur deux ans. « Depuis que l’ANSM a décidé de mettre en place une expérimentation, elle a choisi un circuit très encadré, très contrôlé par rapport aux autres pays, avec notamment un registre pour surveiller les effets indésirables éventuels, et une autorisation seulement à condition d’un échec thérapeutique préalable, pas en première intention », explique Marie Jauffret-Roustide, Sociologue et membre du CSST sur le cannabis thérapeutique.

Source : sciencesetavenir.fr

Auteur: Philippe Sérié

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