Faut-il légaliser le cannabis ?

Note préliminaire de Principes Actifs : cette publication s’adresse particulièrement aux usagers utilisant le cannabis dans le cadre de leur pathologie sans avoir un accès au cannabis médical à court et moyen terme.

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Faut-il légaliser le cannabis ? ©Getty – Olena Ruban

Résumé

La France est le pays le plus consommateurs de cannabis et pourtant celui où la répression est la plus forte. Alors, faut-il légaliser le cannabis ? 

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En 2021, l’université Saclay, la meilleure université de France selon le palmarès de Shanghai, dispense un diplôme universitaire du cannabis. Suivie par une trentaine d’étudiants, médecins, pharmaciens ou producteurs de chanvre, cette formation aborde l’usage thérapeutique du cannabis, toujours interdit en France, tout comme son usage récréatif.

C’est d’ailleurs un sujet récurrent à chaque élection présidentielle, les candidats ayant tous un avis bien précis, pour ou contre. Mais ce qui est plus rare est que ce sujet revienne après l’élection. Pourtant, le 10 août dernier, 31 sénateurs, membres du groupe socialiste, écologiste et républicain ont signé une tribune dans Le Monde pour appeler à la légalisation du cannabis pour “protéger la jeunesse”.

Leurs arguments ? La prohibition en vigueur depuis plusieurs années est inefficace. En effet, elle n’empêche pas la France d’être le premier pays consommateur en Europe, avec environ un million et demi d’usagers réguliers. Pour les députés signataires, légaliser permettrait de vendre des produits de qualité, et d’assurer avec l’argent de la vente un grand plan de prévention destiné à la jeunesse. Cela permettrait en outre d’assécher le trafic. Peu de temps avant, un rapport de l’Assemblée proposait aussi d’encadrer sa vente, au même titre que l’alcool et le tabac. Évidemment, l’Académie de médecine, dans son rôle, rappelle la dangerosité du produit.

Dans le reste de l’Europe, l’Allemagne va vraisemblablement légaliser cette substance, tout comme le Luxembourg. En France, selon les différents sondages, les Français se prononcent plutôt pour.

Extraits de l’entretien

Pourquoi ce débat ?

Le sénateur Gilbert-Luc Devinaz est à l’impulsion de la tribune au Monde “La légalisation du cannabis donnera les moyens d’agir plus efficacement pour protéger davantage nos concitoyens”, cosignée par 31 sénateurs. Il dresse ce constat : « En France, on est dans la prohibition, mais c’est sans effet. La consommation augmente : de 3,8 millions consommateurs occasionnels on est passé à 4,6, et de moins d’un million de consommateurs réguliers à 1,4 million… »

Ludovic Mendès, député LREM de Moselle et rapporteur thématique sur le volet “Cannabis bien-être” de la “Mission d’Information Commune sur l’impact des différents usages du cannabis” ajoute : « Les chiffres que nous avons sont des estimations ou des sondages. Et tout le monde ne répond pas franchement quand il est interrogé sur sa consommation par peur des répercussions… Il y a vraisemblablement plus de consommateurs en France ! »

La sociologue Marie Jauffret-Roustide explique que : « En France, la question des drogues, et du cannabis en particulier est toujours abordée par les politiques de manière à la fois morale et émotionnelle. La loi très répressive du 31 décembre 1970 a été votée par les parlementaires dans un contexte post mai 1968. Il s’agissait à l’époque de réprimer des groupes de population : les jeunes contestataires.

Les risques de la consommation de cannabis ne sont pas anodins

Nicolas Authier, médecin-psychiatre et addictologue explique : « La consommation de cannabis n’est pas anodine. C’est un mélange de substances qui peut avoir des effets indésirables. Le cannabis peut parfois exciter, entraîner des troubles du sommeil, favoriser la dépression, donner des crises d’angoisse. Ce n’est jamais très simple à aborder, mais il faut le faire en toute transparence. Ce n’est pas la drogue la plus dangereuse.»

Légaliser pour des raisons de santé publique ?

Nicolas Authier poursuit : « Il ne faut pas égaliser pour promouvoir l’idée de consommer du cannabis, ni pour faire de l’argent. Il faut cesser la prohibition pour des raisons de santé publique, pour mieux maîtriser les risques du cannabis. Actuellement, on ne maîtrise rien. Des dispositifs de soins existent dans les services d’addictologie. Mais quand les personnes arrivent chez nous, c’est trop tard ! Les personnes sont déjà accros. Il faudrait qu’on puisse, en amont, limiter les risques et les consommations. Et mettre en garde sur le fait de fumer tout simplement. Le cannabis est dangereux, mais la combustion du joint entraîne à elle seule des complications cardiovasculaires et respiratoires. Et ça, on ne peut pas le faire. En France, on met de l’argent dans le soin, c’est très bien. Mais ça veut dire qu’on a raté la prévention. »

Légaliser pour des raisons de sécurité ?

Gilbert-Luc Devinaz : « Si le Sénat, la maison mère des collectivités territoriales, s’est lancé dans l’étude de la question des politiques à mener vis-à-vis du cannabis, c’est parce qu’un certain nombre d’élus locaux l’ont interpellé. Ceux qui sont confrontés sur leur territoire à des questions de sécurité publique généré par le trafic. Nous avons étudié toutes les possibilités, et il nous a semblé que la légalisation permettrait de contrôler la qualité des produits, et de réduire les points de deal générateurs d’insécurité. »

Légaliser pour des raisons économiques ?

Ludovic Mendès : « Officiellement, le trafic de cannabis ne rapporte rien puisqu’il n’est pas censé être légal. Si on regarde l’ensemble des services de l’Etat mobilisés pour lutter contre cette drogue avec les agents de police, la prohibition coûterait un milliard d’euros. »

Légaliser… Pour protéger les jeunes ?

La sociologue Marie Jauffret-Roustide prend l’exemple du Canada : « Les bénéfices réalisés par la diminution de la répression, ont été réinjectés dans la prévention. Par ailleurs, la prohibition empêche la prévention. Comme c’est illégal, le discours n’est pas très clair sur les risques et les bénéfices de la consommation du cannabis. Les opérations de prévention sont plus simples à faire dans un contexte de légalisation. »

Ludovic Mendès est très clair : « Chez les jeunes, il y a un vrai risque de développement de maladies du développement psychique et donc d’avoir des personnes qui mettent en difficulté plus tard. C’est la même quand on consomme très jeune de l’alcool ou certains médicaments. Mais les plus gros consommateurs de cannabis aujourd’hui se trouvent parmi les personnes âgées entre 35 et 55 ans. Ils appartiennent plutôt aux classes moyennes, et aux classes moyennes supérieures. On est loin du cliché du jeune addict ! »

Légaliser : un risque de passage à une drogue plus dure ?

Ludovic Mendès explique : « On nous dit souvent : « Si vous légalisez le cannabis, vous allez pousser à la consommation du cannabis. Dans l’esprit des gens, si on légalise, on pousserait à la consommation ». Et ils ajoutent « Vous allez déporter les consommateurs vers la consommation des autres drogues ». C’est totalement faux ! Cela a été prouvé à plusieurs reprises. Il y a plusieurs utilisations du cannabis thérapeutique, bien-être et récréatif. Dans la mission d’information, nous avons taché de démontrer qu’on pouvait trouver une solution en termes de protection, en termes de lutte contre les addictions, tout en légalisant ce produit qui aujourd’hui est hyper consommé dans notre pays. »

La suite est à écouter…

Avec nous pour en parler

  • Nicolas Authier, médecin-psychiatre et addictologue
  • Marie Jauffret-Roustide , sociologue et chercheuse à l’INSERM sur la gestion du risque dans le champ des addictions
  • Ludovic Mendès, député LREM de Moselle et rapporteur thématique sur le volet “Cannabis bien-être” de la “Mission d’Information Commune sur l’impact des différents usages du cannabis” qui recommande la légalisation.
  • Gilbert-Luc Devinaz , sénateur du Rhône, membre du Parti Socialiste. Il est à l’impulsion de la tribune au Monde “La légalisation du cannabis donnera les moyens d’agir plus efficacement pour protéger davantage nos concitoyens”, cosignée par 31 sénateurs
  • Jean-Sébastien Fallu, professeur à l’Ecole de psychoéducation de l’Université de Montréal, Docteur en psychologie et spécialiste de la toxicomanie.

Source : radiofrance.fr

Auteur: Philippe Sérié

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