

Interview de Nicolas Authier dans france3-regions (07/01/2025) :
L’inquiétude règne toujours autours des suites qui seront données à l’expérimentation du cannabis médical et aux sort des patients concernés . Des voix s’élèvent pour dénoncer ce flou en ce début de janvier alors que l’expérimentation est en suspend depuis décembre 2024. Ainsi Nicolas Authier, médecin psychiatre au CHU de Clermont-Ferrand et président du comité scientifique de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a déclaré dans un article de france3-regions : “Il y a une prolongation de l’impasse. Tout devait s’arrêter au 31 décembre 2024. Une décision urgente a été prise par le gouvernement précédent et a permis de prolonger l’accès au traitement pour les patients déjà traités pour six mois supplémentaires. Mais il y a une injonction d’arrêter les traitements chez ces patients pendant ces six mois. C’est un peu délicat parce qu’en réalité, on nous demande d’arrêter des traitements pour lesquels il n’y a pas d’alternative. Par définition, le cannabis médical est prescrit lorsque les patients n’ont pas d’alternative, lorsqu’ils sont en impasse thérapeutique”.
« Pas d’alternative » « Impasse thérapeutique »
Comme le fait remarquer Nicolas Authier, ces patients ont pu bénéficier d’un traitement à base de cannabis thérapeutique parce qu’ils n’avaient plus d ‘alternative pour soulager leurs douleurs et que donc ils étaient dans une impasse thérapeutique. Dés lors, le psychiatre dénonce » l’angoisse et la détresse psychique » que provoque cette incertitude auprès de ces personnes en souffrance : “Nos patients sont très angoissés parce que pour ceux qui sont en cours de traitement, ils en tirent un bénéfice. C’est le seul médicament qui a permis d’améliorer leur qualité de vie, d’apaiser leurs souffrances, non pas totalement mais assez pour qu’ils en tirent un bénéfice. On n’a pas inclus de nouveau patient depuis mars 2024. Pour les 1 200 patients qui restent, le cannabis médical fonctionne, sinon ils n’en prendraient pas. On doit expliquer à un patient qui a une souffrance majeure qu’on va lui arrêter son traitement, sans pouvoir lui proposer d’alternative. On peut imaginer facilement son niveau d’angoisse et de détresse psychique”.
« C’était prévu dans la loi «
Dans cette période de flottement, par manques de décisions politique, le processus s’est arrêté malheureusement à un certain stade que Nicolas Authier manque pas de préciser dans l’article : “L’année 2024 était faite pour passer du stade expérimental au droit commun. C’était prévu dans la loi de décembre 2023, avec l’article 78, avec une autorisation des médicaments à base de cannabis dans le courant de l’année 2024. Elle contenait la notification d’un décret d’application à la Commission européenne. Cette première étape n’a pas eu lieu. Sans cette notification à la Commission européenne, il ne peut pas y avoir la publication de ce décret par le Conseil d’Etat, qui permettra à l’Agence du médicament de donner les premières autorisations de médicament. Des instances discuteront ensuite du prix et de conditions de remboursement de ces médicaments. On souhaite que ce processus se réenclenche. On a un petit espoir. Il semblerait que, contrairement à la précédente ministre de la Santé, le ministre actuel Yannick Neuder semble moins fermé sur cette question. On espère qu’il saura convaincre le Premier ministre d’adresser au plus vite le projet de décret d’application à la Commission européenne”.
« C’est un sujet de santé et pas de sécurité intérieure »
Le psychiatre insiste ensuite sur la distinction qui doit être faite entre cannabis médical et récréatif. Celons lui , le cannabis thérapeutique est mis à mal par ses détracteurs qui veulent semer une confusion dans les esprit afin de discréditer les motivations d’une tel entreprise : “C’est un sujet de santé et pas de sécurité intérieure. On ne parle pas de drogue mais de médicament, même si les substances actives se retrouvent aussi dans le cannabis dit récréatif. Pour autant, on ne parle pas de mêmes produits, de mêmes modalités d’accès. Ce ne sont pas du tout les mêmes objectifs. Il y a quelques oppositions politiques qui s’accrochent à d’hypothétiques chevaux de Troie que représenterait le cannabis médical par rapport à la légalisation globale du cannabis. Or, ce n’est pas le cas”.
Nicolas Authier va plus loin en dénonçant cette amalgame : “Les différences sont fondamentales dans les objectifs, dans les conditions d’accès. Ce sont des médicaments prescrits par des médecins, fournis par des pharmaciens. Les professionnels de santé supervisent le traitement, avec des posologies contrôlées, avec des indications bien précises et le respect de certaines contre-indications. Par exemple, la schizophrénie est une contre-indication, tout comme la grossesse, une maladie cardio-vasculaire non stabilisée. Ce sont aussi des produits standardisés sur le plan de la qualité pharmaceutique et cela n’a rien à voir avec un produit acheté dans la rue. C’est un produit qui a montré ses bénéfices thérapeutiques, avec une qualité contrôlée. C’est un médicament autorisé qui ne met pas le patient dans une situation dangereuse au regard de la loi. Cela n’a rien à voir : c’est comme si on comparait la morphine médicament et les fumeries d’opium”.
“Le bilan est positif«
Le psychiatre revient par ailleurs sur le bilan favorable de l’expérimentation : “Le bilan est positif. Il est inscrit dans le rapport de la direction générale de la Santé. Il n’y a pas de difficultés à prescrire ce médicament, pas de difficultés à les dispenser en pharmacie. L’objectif de cette expérimentation était de tester les conditions d’accès. On se doutait bien qu’on allait y arriver. On a formé 2 000 professionnels de santé sur ces médicaments. Les effets indésirables sont maintenant bien connus et rien n’a été observé qui pourrait être nouveau. Il y a une sécurité d’emploi plutôt rassurante de ces médicaments. Les patients, qui étaient en souffrance majeure, ont vu une diminution significative de leurs souffrances psychiques et physiques pour 30 à 40% d’entre eux, après 3 mois de traitement. On pourrait dire que ce n’est pas assez, mais ce sont des patients pour lesquels il n’y avait plus d’autre issue et chez qui il y a une amélioration importante. Ce n’est pas le cas de tous les patients. Sans un bilan positif, Elisabeth Borne et son ministre de la Santé Aurélien Rousseau n’auraient pas intégré cet article dans la loi”.
“Le cannabis médical s’administre par voie orale«
Afin d’éliminer toute ambiguïté, Nicolas Authier precise par quel mode s’administre le traitement : “Le cannabis médical s’administre par voie orale : ce sont des huiles que l’on prend par des pipettes. Ce sont les formes que l’on a uniquement pendant l’expérimentation mais si on devait passer dans le droit commun, on pourrait avoir d’autres formes comme des capsules, des comprimés. Cette expérimentation est destinée à des patients qui sont atteints de cancer, ou en soins palliatifs, ou souffrant de sclérose en plaques, ou qui souffrent de complications d’AVC, ou d’une lésion de la moelle épinière après un accident de voiture, ou qui font des crises d’épilepsie quotidiennes, ou qui ont des douleurs neuropathiques. Ces patients ont des souffrances majeures”. Et comme le fait remarquer l’article, pourrait il y avoir un risque à ce que les patients se tourne vers le marché noir ? Le psychiatre répond : “L’immense majorité des patients inclus dans l’expérimentation ne consommaient pas de cannabis avant. Certains d’entre eux pourraient se dire que le THC a fonctionné chez eux et que si on leur retirait, ils pourraient aller le chercher de manière illégale, au marché noir. C’est une possibilité qui va exister mais je ne peux pas la mesurer en termes de proportions. On sait qu’ils ne retrouveront pas dans le cannabis du marché noir les bénéfices obtenus par les médicaments”.
“Un jour ce sera inscrit dans le droit commun«
Malgré tout Nicolas Authier se veut serein sur l’avenir du cannabis médical en France : “Un jour ce sera inscrit dans le droit commun. Il y a déjà 22 pays qui le font en Europe et plus de 60 dans le monde. On ne sera pas les premiers mais il serait bien qu’on ne soit pas les derniers, vis-à-vis des patients qui pourraient en tirer un bénéfice. Le combat continue. La réflexion a commencé en septembre 2018. On ne va pas abandonner maintenant. On va essayer de convaincre et de rassurer à nouveau, pour faire en sorte que les 150 à 200 000 patients qui pourraient en bénéficier puissent y avoir accès assez facilement, comme n’importe quel médicament”.
Dernièrement, la déclaration du ministre de la Santé, Yannick Neuder, semble confirmer cette tendance et laisser une porte ouverte au cannabis thérapeutique : “Je pense qu’il faut étudier cette voie de cannabis thérapeutique parce que ça couvre un champ de douleurs rebelles qui ne sont souvent pas soulagées par d’autres médicaments », comme dans « la cancérologie, les raideurs, les algies faciales« . En revanche, il s’est positionné “toujours contre le cannabis récréatif”.
Source: SANTE. « On ne parle pas de drogue mais de médicament » : cannabis thérapeutique, quel bilan après 3 ans d’expérimentation ? 07/01/2025