Israël : La réforme du cannabis médical laisse 5 000 patients sans médicaments

Des militants poursuivent le ministère de la Santé, qui a reporté la mise en oeuvre de la loi ; le plus grand fournisseur est dans l’incapacité de fabriquer des médicaments

Un plant de cannabis a été amené à la Knesset en 2009 pour le comité travailliste de la Santé, qui abordait la question du cannabis médical. (Kobi Gideon/Flash 90)

 

La réforme du cannabis médical du ministère de la Santé, qui devait entrer en vigueur le 1er avril, a contraint le plus grand fournisseur de cannabis médical du pays à fermer temporairement pendant qu’elle transfère son exploitation. Cinq milliers de patients, voire peut-être 9 000, se sont retrouvés privés de leur médicament.

Tikun Olam fournit à 15 000 personnes mensuellement du cannabis, sur les 38 000 personnes qui ont reçu une ordonnance en Israël. Le mois dernier, la société a informé ses patients qu’en raison de la réforme sur le cannabis, qui impose un déménagement dans un nouvel emplacement, elle ne sera pas en mesure de fournir le cannabis sous forme de fleurs (y compris les fleurs en vracs, les joints pré-roulés, et les gélules contenant des fleurs pilées). Les patients ayant recours à l’huile de cannabis peuvent pour leur part renouveler leurs ordonnances.

« Les patients qui ont besoin d’un certain type de traitement devront s’adresser à des autres sociétés, parce que nous n’avons pas assez de stock », a déclaré Maayan Weiberg, porte-parole de Tikun Olam. « Nous travaillons pour reprendre du service le plus rapidement possible, conformément aux lois. »

Tikun Olam et le ministère de la Santé s’accusent mutuellement. Tikun Olam accuse le ministère d’imposer des réformes trop strictes, et le ministère accuse Tikun Olam de ne pas être assez réactif pour éviter une pénurie de produits. Tikun Olam affirme avoir notifié suffisamment au préalable des questions liées au transfert vers une autre infrastructure, et le ministère de la Santé dit avoir fait le maximum pour rediriger les patients vers d’autres sociétés de cannabis médical, mais que cela prend du temps.

Un porte-parole du ministère a déclaré qu’il espère que tous les patients pourront se procurer des permis auprès d’autres fournisseurs d’ici 7 à 10 jours, mais les patients estiment que c’est un délai peu probable.

Les patients souffrant de maladies chroniques ou en phase terminale, qui sont sujets à des douleurs, sont pris en otages par ce conflit, ne sachant pas quand leur prochain médicament arrivera. Près de 5 000 sont déjà à court de médicaments et entre 3 000 et 4 000 autres patients seront dans le même cas d’ici la fin de la semaine, selon Dana Bar-On, le PDG de la Medical Cannabis Association.

« Ce sont les dégâts causés par la réforme », a déclaré Bar-On. « Et ce n’est que le processus de mise en application. Cela montre la considération qu’ils ont pour le patient. Ils n’ont aucun problème à laisser 8 000 patients, dont certains sont mourants, sans médicaments. »

« Nous sommes très tristes que cela se produise, et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, à tous les points de vue, pour que cela change aussi vite que possible », a déclaré Weisberg, tout en soulignant que Tikun Olam cherchait simplement à se plier aux conditions imposées par le ministère de la Santé.

« Ce problème montre à quel point la réforme du cannabis est importante, et doit être menée selon les procédures et les régulations du cannabis médical dans les officines », a déclaré un porte-parole du ministère de la Santé.

 

Fournitures pour fumeurs de marijuana à usage médical dans un magasin adjacent au centre « Tikkoun Olam » à Tel Aviv, le 10 avril 2016. Tikkoun Olam Ltd. est le plus grand fournisseur de cannabis médical en Israël, opérant sous licence du ministère israélien de la Santé depuis 2007. (Hadas Parush/Flash90)

Dimanche, Bar-On faisait partie d’un groupe de militants qui ont déposé une requête auprès de la Haute cour de Justice pour bloquer la réforme du cannabis, affirmant qu’elle met en danger les patients en leur imposant de prendre des mélanges génériques de variétés de cannabis qui ne sont pas soigneusement calibrées pour leurs besoins médicaux. Un panel de trois juges se penchera prochainement sur cette affaire. En attendant, le ministère de la Santé a reporté l’entrée en vigueur de cette réforme. Le porte-parole a refusé de commenter cette requête.

« C’est une réforme complètement non scientifique, et elle va nous forcer à prendre quelque chose dont nous ne connaissons pas les composants », a accusé Bar-On. « Cela va à l’encontre de tout ce que nous connaissons du monde de la recherche. C’est complètement infondé et cela peut potentiellement causer du tort. »

La réforme du cannabis devrait standardiser les règles et les procédures pour garantir que le cannabis soit produit, stocké, transporté et distribué de façon à protéger la qualité du médicament, selon le ministère de la Santé.

Bar-On a déclaré qu’avec les autres activistes, ils soutiennent l’idée d’une réforme du cannabis, et que la standardisation de la chaîne de production du cannabis à des fins régulatrices et qualitatives seront bénéfiques pour les patients.

« Mais ce que la décision du gouvernement dit par écrit et ce qu’elle fait [en pratique], ce sont deux choses différentes », a expliqué Bar-On, qui a recours au cannabis médical depuis 12 ans pour gérer les symptômes d’une maladie neuromusculaire. « Ils arrêtent des traitements qui marchent sans prendre en compte les gens qui ont testé différentes [variétés] de cannabis médical avant de trouver ce qui leur convenait. »

Actuellement, le cannabis est approuvé en Israël dans le traitement du cancer, des douleurs neuropathiques chroniques, du trouble de stress post-traumatique, de la colite, de la maladie de Parkinson, de l’épilepsie, du SIDA, de la maladie de Crohn, de la sclérose en plaques, du syndrome Gilles de la Tourette et des maladies en phase terminale. Le cannabis devrait prochainement être approuvé pour l’autisme et la fibromyalgie. Le ministère de la Santé reçoit 300 demandes par jour pour l’usage du cannabis médical et accuse un retard considérable dans le traitement de ces demandes.

Un patient atteint du cancer nous montre ses pilules de marijuana concentrées dans le centre de Tikkoun Olam à Tel Aviv, le 1er septembre 2016 (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israel)

 

Actuellement, il y a huit sociétés habilitées à faire pousser de la marijuana en Israël, pour la consommation locale de cannabis médical. Tikun Olam est la plus grande.

Israël est considéré comme un leader dans le domaine du cannabis médical, notamment pour sa régularité de production. Parce que le cannabis est une plante, il est difficile de garantir que toutes les récoltes présentent le même ratio de composant actif. Les patients se retrouvent souvent avec un plant de cannabis plus efficace qu’un autre pour répondre à leurs besoins spécifiques. Chacune des huit sociétés fait pousser une variété de cannabis différente, donc il est difficile pour les patients de changer de société, s’il y a pénurie chez leur fournisseur habituel. De plus, les autorisations accordées sont liées à chaque société. En conséquence, lorsque Tikun Olam a informé ses patients qu’ils ne pourront pas fournir de cannabis pendant 4 mois, ces derniers ont dû déposer de nouvelles demandes d’autorisation.

Tikun Olam propose 18 variétés de cannabis avec différents niveaux de cannabidiol (CBD) et de tétrahydrocannabinol (THC). Le THC est le composant psychoactif primaire qui rend « high » les utilisateurs. le CBD est davantage médicinal. C’est la partie de la plante qui soigne et qui ne donne pas la sensation de « high » associé à la marijuana.

Parallèlement, Israël a partiellement dépénalisé l’usage personnel de la marijuana et remplacera les poursuites criminelles pour usage personnel de cannabis en public par des amendes et des conditions d’applications moins contraignantes.

Une version du projet avait été déposée au début de l’année 2017 par l’Autorité de lutte contre les stupéfiants du gouvernement. Elle avait été approuvée par les ministres du cabinet en mars 2019. La loi se fonde sur ce que l’on a appelé le modèle portugais, qui traite la consommation du cannabis comme une question de santé publique – au même titre que la cigarette – plutôt que comme un problème criminel.

Un pharmacien de Tikkoun Olam délivrant la dose mensuelle de marijuana médicale à un patient au dispensaire de Tel Aviv le 1er septembre 2016 (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israel)

Les patients qui ont besoin de cannabis médical ont lutté pendant longtemps pour avoir accès aux médicaments qui leur sont nécessaires. En novembre, le ministère de la Santé avait émis un ordre d’arrêt temporaire du travail contre Tikun Olam, par crainte que le processus de séchage du cannabis de la société ne soit pas conforme au règlement, laissant dans l’expectative une quinzaine de milliers de patients. Tikun Olam a fait les changements nécessaires et rouvert 15 jours après.

En janvier, Yehuda Haber, atteint d’un cancer, a entamé des poursuites contre le ministère de la Santé. Son ordonnance de cannabis était passée de 200 à 90 grammes par mois plus tôt cette année, contre l’avis de quatre de ses médecins. Haber avait servi dans le commando marine Shayetet 13, qui s’était entraîné dans les eaux polluées de la rivière Kishon. Comme beaucoup d’autres membres de son unité, il a contracté son cancer au cours de ce service. L’avocat Miriam Brainin a représenté Haber et la Medical Cannabis Association auprès de la Haute cour.

De nombreuses personnes impliquées dans l’industrie du cannabis se sont réunies à Tel Aviv cette semaine pour la conférence CannaTech qui se déroule le 1er et 2 avril.

L’équipe du Times of Israël a contribué à cet article.

Source : timesofisrael.com

 

Auteur: Philippe Sérié

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