La légalisation du cannabis a fait baisser la consommation

TRIBUNE – Pour Pierre-Yves Geoffard, professeur à l’Ecole d’Economie de Paris et expert de la santé, la légalisation encadrée du cannabis n’est pas une « lâcheté » comme l’affirme Gérald Darmanin. C’est une politique rationnelle qui a réussi à réduire la consommation chez les jeunes, notamment au Canada. 

Des plants de cannabis dans une serre du producteur canadien Tilray AFP – PATRICIA DE MELO MOREIRA

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Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti ont annoncé la généralisation, au premier septembre, de l’ »amende forfaitaire délictuelle » permettant aux forces de l’ordre de condamner plus rapidement les consommateurs de cannabis ou de cocaïne. La loi française, déjà la plus répressive d’Europe sur l’usage de drogues, dispose désormais d’un outil supplémentaire. Au passage, on notera l’évolution de la communication gouvernementale: en juin, il s’agissait d’ »expérimenter » le dispositif dans trois villes. Quand on expérimente à petite échelle, en principe, c’est pour apprendre quelque chose, pour être mieux informé avant de décider ensuited’étendre, ou d’arrêter.

Des médicaments dérivés du cannabis utiles

Qu’a-t-on appris de ces trois mois? Aucune évaluation n’a été réalisée, et l’expérimentation est rétrospectivement qualifiée de « déploiement progressif ». A l’inverse, sur le potentiel thérapeutique du cannabis, on attend les résultats d’une expérimentation… qui deux ans après son annonce n’a toujours pas démarré. Peut-être a-t-on trop peur d’apprendre ce que les soixante-seize pays ou Etats qui l’autorisent, parfois depuis des décennies, connaissent déjà? Sans être une universelle panacée, les médicaments dérivés du cannabis peuvent être utiles dans le traitement de certaines maladies, c’est connu, documenté, mais il faut le démontrer à nouveau ici, car la France c’est différent.

Pour revenir aux usages récréatifs du cannabis, ceux visés par le renforcement de la répression, là aussi, nous pourrions tenir compte des expériences étrangères. Car de plus en plus d’Etats tirent les leçons d’une aventure prohibitionniste, entamée dans les années 1970, qui a amplement montré son échec. Partout, le désastre est triple. Sécuritaire tout d’abord, car l’illégalité de la vente génère une activité criminelle, engorge les tribunaux et les prisons, nourrit les mafias bien plus que les petits revendeurs, gangrène les territoires où se déroule le trafic. Economique ensuite: au lieu de l’Etat qui pourrait bénéficier de taxes perçues sur un produit massivement consommé, ce sont les organisations criminelles qui s’enrichissent.

En France, la consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes

Mais c’est surtout un désastre sanitaire: on sait que la consommation régulière de cannabis nuit au développement cognitif, or la France est le pays d’Europe où la consommation de cannabis est la plus élevée chez les plus jeunes. Comme l’amende forfaitaire ne s’applique pas aux mineurs, on ne voit d’ailleurs pas bien en quoi elle pourrait contribuer à résoudre ce drame de santé publique. Parmi les dix-neuf pays ou Etats ayant choisi de réguler le cannabis par l’encadrement strict d’un marché légalisé, l’expérience du Canada, depuis 2018, est la plus intéressante. Le gouvernement fédéral a atteint son objectif premier, qui était de réduire la consommation des plus jeunes ; chez les 15-17 ans, celle-ci est passée de 19,8% à 10,4% d’usagers dans les trois derniers mois.

La légalisation encadrée est une telle réussite que, durant le récent confinement, les boutiques dédiées à la vente de cannabis ont été, sans beaucoup de débat, jugées « essentielles », au même titre que les commerces alimentaires ou les vendeurs de vin ou de tabac. Même si les succès sont moins spectaculaires dans les autres Etats engagés dans la légalisation, aucun n’est revenu en arrière. Le constat est unanime: réguler est plus efficace que prohiber. Abandonner une politique répressive qui ne marche pas, ce n’est pas faire preuve de « lâcheté » comme le claironne Gérald Darmanin: c’est, tout simplement, faire preuve de raison.

Par Pierre-Yves Geoffard, professeur à l’Ecole d’Economie de Paris et expert de la santé

Source : challenges.fr

Auteur: Philippe Sérié

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