Le cannabis est-il un vrai médicament ?

Le cannabis sera-t-il bientôt autorisé en France à des fins médicales ? L’Agence du médicament se saisit de la question. En attendant sa décision, le point sur les enjeux du débat et les médicaments dérivés du cannabis pouvant déjà être obtenus sur ordonnance, dans le cas de certaines maladies comme le cancer ou la sclérose en plaques.

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Le débat autour du cannabis médical en France a été enfin ouvert par les pouvoirs publics.  L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est chargée (l’annonce en été faite le 10 septembre 2018) d’évaluer la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique. Ses premières conclusions sont attendues d’ici la fin de l’année.

Le CBD et le THC, deux dérivés de cannabis autorisés

On l’ignore souvent : la France fait partie des pays qui autorisent, sur ordonnance, l’usage thérapeutique de molécules dérivées du cannabis. Il s’agit du tétrahydrocannabinol (THC), responsable de l’effet euphorisant, et du cannabidiol (CBD), aux effets calmants.

A ce jour, trois médicaments sont autorisés en France, mais dans des conditions très restrictives. Seuls quelques centaines de patients par an y ont accès.

Commercialisé dans 18 pays européens, le Sativex n’a en effet jamais atteint les pharmacies françaises, en raison d’un désaccord sur le prix de remboursement.

Quant aux deux autres médicaments, pour pouvoir les prescrire, le médecin doit obtenir de l’Agence nationale de sécurité du médicament, une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative, justifiée par l’absence d’alternative thérapeutique.

 

Passer par le circuit du médicament

Pour bien marquer la différence avec le cannabis dit “récréatif”, interdit, la France a donc privilégié les spécialités pharmaceutiques issues du circuit traditionnel du médicament. Mais elle continue d’interdire l’utilisation thérapeutique de la plante ou de préparations magistrales – préparées par le pharmacien – à base de cannabis.

Avantage : passer par le cycle d’évaluation et d’études cliniques, standardiser la production, et sécuriser les prescriptions. Inconvénient : peu d’entre elles arrivent jusqu’aux usagers.

« Très peu de molécules de synthèse offrent un rapport bénéfice/risque favorable, souligne Jean-Pierre Goullé, professeur de toxicologie à la faculté de médecine et pharmacologie de Rouen. Même le service médical rendu par le Sativex est jugé ‘’faible’’ par la Haute autorité de santé et ‘’inexistant’’ par rapport aux traitements dont on dispose déjà. »

La France a toujours refusé d’autoriser la prescription du cannabis naturel

Conséquence pour les patients : « Pour obtenir du Sativex, il faut convaincre son neurologue de le prescrire, et l’acheter en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne ou en Belgique, explique Fabienne Lopez, présidente de Principes actifs, une association d’usagers thérapeutiques. Quant aux douleurs chroniques pour lesquelles on n’a pas de traitement, à part des doses très élevées de morphine, chacun en est réduit à bricoler dans son coin, sans suivi médical. » Au risque d’être condamnés pour usage, détention ou production de stupéfiant.

« En refusant d’autoriser la prescription du cannabis naturel, en particulier des fleurs, on renonce à l’effet de synergie, entre le cannabidiol et d’autres principes actifs de la plante, ajoute le Dr Olivier Bertrand, membre de l’association Norml qui milite pour la régularisation du marché du cannabis. La France prive les patients de ces avancées en voulant à tout prix passer par l’usine à médicament. »

Un débat médical mais aussi idéologique ?

Cette décision se fonde, jusqu’à présent, sur le manque de preuves. « La plupart des études ne sont pas consistantes », estime le Pr Jean-Pierre Goullé. Leurs résultats sont parfois contradictoires. L’exemple le plus récent concerne les douleurs chroniques non cancéreuses : une étude publiée dans la revue médicale, The Lancet, en juillet dernier, observe que le cannabis ne les améliore pas, voire les aggrave. « On manque d’études, reconnaît Olivier Bertrand. Mais certaines sont prometteuses, elles demandent à être complétées, vérifiées… » La France fait, en effet, figure d’exception en la matière, selon Didier Jayle, professeur d’addictologie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

« Le sujet est très idéologique, confirme-t-il. Nombre de médecins refusent de s’y intéresser sous prétexte qu’autoriser l’usage thérapeutique conduirait vers la légalisation du cannabis. Les mêmes médecins, prescrivent des dérivés de l’opium (morphine, codéine), sans se poser de question. »

Pour le Pr Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie et d’addictologie à l’Hôpital Bichat, à Paris, « Les dérivés du cannabis traitent la douleur dans certains cas, lorsque d’autres antalgiques ne sont pas efficaces. Mais le terme même de “cannabis médical” entretient une confusion néfaste », regrette-t-il. Un mot tabou.

Source : santemagazine.fr

 

Auteur: Philippe Sérié

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