Benoît Hamon à son QG de campagne de la Tour Montparnasse, le 9 décembre 2016. Photo Marc Chaumeil pour Libération
Dans «Que la campagne est belle», Mathieu Hanotin, directeur de campagne de Benoît Hamon, raconte de l’intérieur l’année électorale. Aujourd’hui, la construction du programme et de la méthode.
Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l’élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l’organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s’est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l’Assemblée nationale. Il fut également l’un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l’intérieur.
Perturbants perturbateurs
Paris, 26 septembre. Benoît rentre juste de son périple américain. Tout le monde s’aperçoit que ce voyage (lire l’épisode précédent) l’a changé et lui a fait passer un cap.
Après une entrée en matière réussie, le plus difficile commence avec le retour à la lente et laborieuse réalité.
Benoît prend son bâton de pèlerin et entame patiemment un tour de France. Deux déplacements en province et un en Ile-de-France par semaine. Gironde, Haute-Marne, Marseille, Nancy, Grenoble et tant d’autres. Des milliers de kilomètres en train, voiture ou avion. L’épreuve physique qui durera huit mois commence maintenant.
En déplacement à Marseille le 20 octobre 2016. (Photo AFP)
Certains déplacements se révèlent naturellement plus riches que d’autres. En visitant les vignes du Médoc, Benoît se frotte aux problèmes des pesticides, des perturbateurs endocriniens et de leur impact sur la santé.
Beaucoup ont pris conscience, à l’occasion de la campagne, de l’impact des perturbateurs endocriniens sur notre vie quotidienne. Ce fut aussi mon cas. Je pensais bien sûr que le bio était meilleur pour la santé, mais je ne mesurais ni l’omniprésence de ces perturbateurs dans les produits que nous consommons ni leur nocivité, en particulier chez les enfants. On a beaucoup parlé des phénomènes de puberté précoce et de baisse de la fertilité, mais un sujet encore plus grave m’a profondément bouleversé. Le cancer des enfants.
Nous prenons conscience de la situation lors d’une rencontre avec Alfred Spira, professeur honoraire de santé publique et d’épidémiologie, qui deviendra plus tard le conseiller santé de Benoît. On constate, nous explique-t-il, une multiplication de cas complètement atypiques. Le phénomène le plus connu est celui du distilbène qui a provoqué nombre de cancers du vagin chez des petites filles. Mais malheureusement ce n’est pas le seul. Aujourd’hui apparaissent de plus en plus de cas dont on peine à déterminer l’origine. Chez les adultes, les cancers sont souvent dus à des causes comportementales. Ce n’est à l’évidence pas possible chez les enfants. La réponse se trouve donc liée aux causes environnementales. Un chiffre terrifiant sortira plus tard dans la campagne. Les cancers chez l’enfant ont augmenté de 13 % … en vingt ans !
Rien à voir avec l’âge des premières règles qui s’est avancé de cinq ans en deux siècles. Cela se passe ici et maintenant. Et, pour une grande partie, c’est une conséquence directe de nos choix de société.
Lier consommation courante et santé publique, participer à relever le niveau d’exigence citoyenne, voilà des conséquences concrètes de notre campagne. Ces enjeux revêtiront une importance de plus en plus cruciale à l’avenir. Ils sont étroitement liés à la capacité de résistance des politiques face aux lobbys.
Un QG dans la Tour
Début octobre, nous n’avons toujours pas de locaux de campagne. Pas le début d’un QG. Cela devient un problème majeur qui nous empêche de passer à un stade supérieur. Même au temps des réseaux sociaux, la politique a besoin de contact humain.
Je poursuis ma quête du Graal toutes les semaines, à Paris, en banlieue. Disponibilité, emplacement, surface, prix, rien ne colle. Jusqu’à ce que nous entendions parler de locaux vides au 11e étage de la Tour Montparnasse.
Je suis très réservé. La Tour n’a rien de pratique pour un usage politique quotidien. Le strict contrôle d’accès rend compliquée la venue de visiteurs et force parfois invités de marque et journalistes à faire une queue interminable. Malheur aussi à celui qui oublie son badge, il est à peu près sûr de rater le début de sa réunion.
Mais surtout, la Tour abrite le siège de campagne de Macron, au 14e étage. Les comparaisons non maîtrisées de la presse m’inquiètent. Benoît n’y attache pas d’importance.
Au QG de campagne de la Tour Montparnasse. Photo Marc Chaumeil pour Libération
Nous emménageons mi-octobre. Enfin un chez nous ! 120 m2 dans lesquels nous passerons la plus grande partie de nos journées et parfois de nos nuits dans les trois mois à venir.
Je fais contre mauvaise fortune bon cœur. L’essentiel est d’avoir un local, et ça me permet de prendre régulièrement un café avec mon amie de toujours, alors inconnue du grand public, Sibeth Ndiaye. Il y a peu de vraies amitiés en politique, elles se mesurent à leur résilience quand les choix des uns et des autres diffèrent. Sibeth est restée mon amie tout au long de la campagne, même après la primaire, l’est encore aujourd’hui et, je suis sûr, le sera demain.
L’autre point positif à la cohabitation avec les équipes de Macron est le regard gêné des élus socialistes croisés au pied de la Tour qui, manifestement, ne viennent pas voir Hamon…
L’idée du 49-3 citoyen
Lundi 10 octobre, lors de notre réunion d’équipe hebdomadaire, Benoît a une intuition : la gauche attend des idées neuves, mais pour sortir par le haut des batailles stériles qui ont émaillé la fin du quinquennat Hollande, nous ne pouvons nous en tenir à la théorie.
Il nous faut traduire thématiques et intuitions en mesures opérationnelles et crédibles. Cela demande du travail, de l’expertise, de la modélisation.
Concrètement cela consiste à passer de la dénonciation de la pollution atmosphérique à un plan pour sortir du diesel d’ici 2025.
Initialement, nous avions prévu de rester sur la discussion politique générale tout au long de l’automne et de sortir nos mesures à la toute fin de l’année.
Nous sommes mi-octobre, notre campagne ne décolle pas. Si nous avons bien passé les premières étapes, Benoît reste désespérément scotché dans les limbes des sondages.
Il enchaîne les déplacements thématiques à l’écoute des Français mais rien n’y fait. Notre calendrier ne tient plus. Il nous faut changer de braquet. Mener de front bataille des idées et conquête du terrain.
Un défi permanent, semaine après semaine. Intellectuellement, nous vivons alors la période la plus riche de toute la campagne. Nous découvrons des passerelles que nous n’avions pas imaginées. Sortir du nucléaire, par exemple, crée de l’emploi. Beaucoup d’emplois. Un euro investi dans les énergies renouvelables amène six fois plus d’emplois qu’un euro investi dans le nucléaire.
Nous défrichons tous les jours de nouveaux sujets. En matière de défense, je comprends notamment la nécessité de la construction d’un deuxième porte-avions afin de doter notre pays d’une vraie capacité de riposte permanente. Aujourd’hui, tous les dix ans maximum, le Charles de Gaulle se retrouve en cale sèche pour une révision d’au moins dix-huit mois. Au vu de l’instabilité géopolitique croissante, une force de réaction intermittente n’apparaît pas digne d’un pays comme la France.
La question de la démocratie se pose aussi de manière lancinante. Le constat de rupture semble évident. En finir avec la monarchie républicaine de la Ve République ? Oui mais pour faire quoi et comment ? Depuis des années, la question n’est abordée que sous l’angle institutionnel. Supprimer le Sénat ou le fondre avec le Conseil économique et social ? Elire les députés à la proportionnelle ? Déconnecter l’exécutif du pouvoir législatif ?
Mon expérience de député me conduit à penser qu’on peut avoir la meilleure des Constitutions, in fine ce n’est qu’un outil. Ce qui fragilise le plus le pouvoir parlementaire aujourd’hui n’est pas le texte de 1958, mais la soumission consentie des parlementaires eux-mêmes. «Je ne suis pas d’accord avec ce texte mais, tu comprends, c’est la parole présidentielle, je ne peux pas m’y opposer» est l’une des phrases que j’ai le plus entendu pendant mes cinq années passées au Palais Bourbon. Si le Parlement apparaît faible dans la lettre du texte, il l’est davantage encore dans l’usage et la pratique.
La fronde apportait une réponse à cet état de fait. Je suis fier d’y avoir participé. Au moins n’avons-nous pas été passifs face à la catastrophe qui s’annonçait. Cela n’a pas été suffisant pour réorienter l’action du gouvernement mais comptera pour la suite.
La rencontre avec Elisa Lewis et Romain Slitine s’avère déterminante dans notre réflexion. Très tôt, Benoît souhaite élargir sa campagne aux nouveaux intellectuels désireux de penser le monde de demain. Romain et Elisa sont les premiers à franchir le pas. La trentaine, universitaires, ils ont fondé le think thank «open democracy». Le titre du livre qu’ils viennent de publier parle de lui-même : Le coup d’Etat citoyen .
Si on veut lutter contre la rupture démocratique, il faut se demander comment réintégrer les citoyens au cœur du processus de décision entre deux élections. Voilà le vrai sujet, davantage qu’une VIe République érigée en deus ex machina susceptible de régler tous les problèmes.
Les citoyens doivent pouvoir agir à tous les niveaux. A la fois dans l’initiative et l’élaboration de la loi. Il faut les doter d’outils participatifs sans attendre le prochain scrutin. Mais aussi accepter que certaines grandes réformes soient conçues à l’aide de jurys citoyens tirés au sort.
En Islande, suite à la faillite de 2008, une nouvelle constitution a été rédigée par des citoyens tirés au sort. Jamais voté, ce texte est pourtant unanimement reconnu comme remarquable. Le système italien a permis aux électeurs de se mobiliser pour empêcher la privatisation de l’eau. La Californie a décidé de légaliser le cannabis et d’augmenter le salaire minimum suite à des référendums d’initiative populaire.
En France, Axelle Lemaire a mené une expérience sans précédent de coconstruction citoyenne de sa loi numérique.
Comment matérialiser tout cela dans une proposition lisible ?
Ce sera le 49-3 citoyen. Je ne me souviens plus de l’auteur de cette formule, mais elle s’impose instantanément. Quel pied de nez à la pratique autoritaire du pouvoir de Hollande et Valls !
Benoît ajoute la reconnaissance du vote blanc et le droit de vote des étrangers. Le premier comme un nouveau pouvoir, celui de recommencer l’élection si l’offre politique ne convient pas à une majorité de votants. Le second comme une réparation d’une promesse vieille de trente ans jamais honorée par la gauche.
Pour être crédible, il énonce clairement sa méthode. Elu président, il commencera par rendre du pouvoir aux citoyens. Dès l’ouverture de la nouvelle législature, il convoquera un référendum pour faire adopter ces réformes directement par les Français.
S’engager sur la méthode, c’est crucial. Parmi nous, personne ne veut revivre l’épisode des fausses tentatives de Hollande de faire adopter le droit de vote des étrangers par le Parlement.
Le cas du cannabis
La légalisation du cannabis a aussi grandement animé nos discussions. Benoît est comme moi élu de banlieue. Pas besoin de visite en immersion pour connaître son sujet. Ces personnes qui ne peuvent plus dormir, élever normalement leurs enfants, vivre tout simplement, nous les rencontrons quotidiennement à la Cité Gaston Dourdin à Saint Denis ou aux Merisiers à Trappes. L’échec des politiques de prohibition apparaît tellement évident. Le cannabis se trouve de fait quasiment en vente libre dans l’espace public. A cause de la prohibition, l’Etat ne peut ni contrôler la dangerosité des produits ni mener une politique de prévention efficace. Le trafic gangrène nos quartiers et alimente les mafias en tout genre. Sans parler de l’impossible lutte contre l’argent facile pour de trop nombreux jeunes happés par cette machine à détruire. Le coût humain, social et financier se révèle gigantesque pour notre pays. On n’a jamais consacré autant d’argent à la répression. Plus de 850 millions d’euros en 2015. Et pourtant le chiffre d’affaires généré par le seul cannabis est estimé à plus d’1 milliard d’euros. Le nombre de trafiquants serait supérieur à 200 000. On est très loin de gagner la bataille.
L’interdit est la racine du business des mafias. Comment ne pas faire le parallèle avec la prohibition aux États-Unis dans les années 1920 ?
Nous ne sommes pas non plus complètement naïfs. Nous percevons bien le risque de ce débat pour notre campagne. La vie politique française cède trop facilement aux caricatures. Beaucoup viennent voir Benoît pour l’inciter à mettre cette proposition en sourdine. Il n’en fera rien. «Si on veut changer le statu quo dans nos banlieues, le sujet est incontournable. Tant pis, si ça me fait perdre des voix, au moins que ma candidature fasse avancer les choses.»
Ce ne sont que quelques exemples. Tous les jours surgissent de nouvelles idées qui donnent de nouvelles mesures. Une période passionnante où nous avons le sentiment d’écrire une nouvelle page de l’histoire de la gauche.
Meet-up et Facebook live
Pratiquement, nous décidons d’organiser à partir du lundi 31 octobre un cycle de sept conférences de presse hebdomadaires où nous présenterons à chaque fois des propositions nouvelles. Nous les illustrerons lors de nos déplacements. Parallèlement, nous les détaillerons directement devant les citoyens par l’intermédiaire d’un meet-up thématique chaque semaine à Paris ou en province et d’un Facebook live pour tenter d’élargir notre audience.
Le meet-up consiste à rassembler physiquement un certain nombre de personnes autour d’un sujet qui les intéresse, sans formalisme particulier. Le but est de créer une communauté d’intérêts et d’échanges.
Une idée rapportée de mes voyages en Californie où mon grand fils est scolarisé. À Los Angeles, des meet-up se tiennent à tous les coins de rue sur n’importe quel sujet de la vie quotidienne.
Notre premier essai a lieu à Paris, le 18 octobre. Bastien Recher, notre trésorier et grand logisticien, a déniché un plan imbattable au Point Éphémère, café branché du canal Saint Martin. Nous avons lancé l’invitation sur Internet, sans trop savoir à quoi nous attendre. Le café déborde de monde. La plupart des participants n’appartiennent à aucun réseau militant. L’ambiance est joyeuse, studieuse et bordélique. Un succès. Ce soir-là, nous sommes définitivement convaincus de notre stratégie.
Les Facebook Live connaissent un succès similaire avec plus de 10 000 connectés dès notre première tentative. Décidément, un fort appétit de politique se manifeste chez nos concitoyens, assorti de la volonté d’un contact direct avec l’homme ou la femme politique. Benoît excelle dans l’exercice. Cette utilisation du live sur internet constitue pour moi LA vraie grande nouveauté de la campagne présidentielle. Un changement qui structurera notre manière de nous adresser aux électeurs dans les années à venir.
Réussite complète donc, même si l’on ne peut pas en dire autant de nos premières conférences de presse. Les idées sont là… mais pas les journalistes ! Trois d’entre eux assistent au début de la première conférence. Ils seront cinq à la fin.
Le nombre de journalistes présents dépend bien sûr davantage de votre rang dans les sondages que de la qualité de vos idées. Ce n’est pas une critique, c’est comme ça. Benoît le sait, il fait le job, patiemment, consciencieusement, prenant autant de temps pour cinq journalistes que pour cinquante. Une marque de fabrique.
Source : liberation.fr