Trois mois de prison requis contre le père qui soignait son fils épileptique à l’huile de cannabis

Avant le procès en appel, Me Millet a eu le temps de s’entretenir avec son client et sa famille, à plusieurs reprises. • ©Polynésie La 1ère / Kaline Lienard

C’est une affaire de justice qui fait écho à un grand débat de société, celui du cannabis thérapeutique. Ariimatatini Vairaaroa, ce père de trois enfants qui soignait son fils épileptique à l’huile de cannabis, avait été relaxé en juin dernier. Mais le parquet général a fait appel de cette décision et le poursuit pour usage de stupéfiants. Le procès s’est déroulé ce jeudi 3 avril. Au-delà de la sentence pénale encourue, l’avocat de la famille a de nouveau plaidé la relaxe en rappelant le vrai enjeu de cette affaire : c’est la rupture d’un protocole de soins qui avait fait ses preuves et redonné la vie à ce garçon, âgé aujourd’hui de 14 ans. La cour d’appel rendra son arrêt le 15 mai prochain.

Il est presque midi et c’est la dernière affaire à passer devant la cour d’appel. Dès l’ouverture du procès, la juge pose le cadre : « Ce n’est pas une salle d’audience pour un mineur. Monsieur, vous allez comparaître seul à la barre. Votre fils ne va pas vous servir.« 

Ariimatatini Vairaaroa comparait aujourd’hui pour usage de cannabis en état de récidive légal, entre le 1er janvier et le 24 mai 2022. Il avait déjà été condamné en 2021, pour le même délit. La magistrate rappelle que le 24 mai 2022, une centaine de plants de cannabis sont découverts chez lui. Il déclare les utiliser pour fabriquer de l’huile, afin de soigner les crises d’épilepsie de son fils.

Maître Thibault Millet, l’avocat du prévenu, précise à la juge que son client ne fera que sa déclaration, pas de réponse aux questions. Ariimatatini commence par évoquer sa situation professionnelle, puis il raconte comment sur internet, ils se sont renseignés sur des traitements contre l’épilepsie à base de cannabis, disponibles en Israël, l’un des pays les plus avancés en matière de recherches sur le cannabis thérapeutique.

 » Tout le contexte médical ne concerne pas directement votre situation » intervient la juge. Mais l’avocat rappelle que les plants saisis et détruits étaient à usage thérapeutique et demande « vous ne voulez pas entendre la déclaration du prévenu ?  »  » Non, car il va parler pendant une demi-heure de son fils et on est là pour les faits qui lui sont reprochés, usage de cannabis  » lui rétorque la juge.

J’ai planté pour mon fils. Pour qu’il évite de faire des crises d’épilepsie. Je ne souhaite à aucun de parents ce que moi ma femme et ma fille on a subi. Ariimatatini Vairaaroa – prévenu

L’avocat reprend la parole après son client pour rappeler que la réglementation a changé. « C’est ridicule et frappant. Jusqu’à l’été dernier, tout le cannabis, y compris le champ industriel qui sert à faire du textile ou des pare-chocs, était une réglementation inégale  » argumente-t-il. Avant de laisser la parole au procureur, il souligne que « dans le dossier, il n’y a aucune saisie d’herbe de cannabis. Pas d’aveu non plus.« 

« On s’est servi d’un tribunal fort complaisant pour avoir une tribune politique »

L’avocat général commence par mentionner que le cannabis à usage thérapeutique, « ce n’est pas le sujet. […]Il consomme depuis qu’il a 16-17 ans et son épouse a dit qu’il fume tous les soirs. Il reconnaît consommer et son épouse le confirme.« 

Il n’est pas poursuivi pour détention de cannabis car le Parquet a voulu être indulgent.L’avocat général de la cour d’appel de Papeete

Dans son réquisitoire, le magistrat argumente que le prévenu « est poursuivi pour usage, non pas d’huile comme il l’affirme, mais pour avoir fumé du cannabis. […] De temps en temps, le droit c’est comme les magiciens, […] on s’est servi d’un tribunal fort complaisant pour avoir une tribune politique. »

L’avocat général poursuit : « Je comprends, quand on a un enfant handicapé, qu’on soit stressé. Mais il y a d’autres moyens pour déstresser comme le sport, des plantes légales. On ne peut pas considérer que l’intéressé soit obligé, face à un danger immédiat, de fumer du cannabis. Monsieur cultivait peut-être pour faire de l’huile, mais aussi pour fumer. Il ne s’en est pas caché.« 

Il faut bien que les Tahitiens comprennent que la législation qui a été prise n’autorise pas à cultiver du cannabis pour fabriquer de l’huile. L’avocat général de la cour d’appel de Papeete

L’avocat général requiert trois mois de prison, assorti d’un sursis total, à l’encontre du prévenu. « Le jugement de relaxe, pour moi, n’a aucun sens » a-t-il conclu.

« Il n’y a pas de dossier si cet enfant n’est pas là »

Maître Millet entame sa plaidoirie en rappelant que  » c’est un dossier très particulier, contrairement à ce que dit l’avocat général. Aujourd’hui, je défends deux victimes : le père et son fils. […] Le sujet important dans cette affaire, c’est quand même cet enfant. Il n’y a pas de dossier si cet enfant n’est pas là, et s’il n’y a pas cette maladie. […] Ce dossier commence par une chose, il faut se le rappeler, par la saisie et la destruction des plants de cannabis. « 

L’avocat décrit alors comment le garçon a frôlé la mort. Il était passé de 30 crises par jour à 0, grâce au traitement à l’huile de cannabis. Il pouvait marcher et même aller à la piscine, chose impossible auparavant.

Suite à la saisie, il a dû changer de traitement médical, ce qui l’a fait rechuter de plus belle. Pendant quatre jours, l’adolescent fait des crises toutes les deux minutes. Sa mère confie se sentir impuissante et démunie, elle ne peut que constater sa perte de poids, plus de dix kilos au total.

L’avocat rappelle également que « cet enfant est né normal et à 9 mois, suite à un vaccin obligatoire, il fait partie des rares victimes des effets secondaires. Il faisait des crises d’épilepsie jusqu’à 30 par jour, soit au moins une par heure. Il y a un fonds qui existe en France pour aider ces victimes, mais il n’est pas applicable en Polynésie.« 

Me Millet martèle que « les plants et l’huile produite sont du CBD, confirmés par trois certificats médicaux. Donc les plants de cannabis saisis et détruits sont du CBD. Il n’y a pas dans ce dossier de cannabis stupéfiant. » Il revient également sur la découverte, il y a cinq ans, d’un traitement pour l’épilepsie à base de cannabis et élaboré en Israël. « Notre société est responsable. Il existe des remèdes, qui ne sont pas disponibles en France. […] On vous demande de faire votre travail et avec de l’humanité. [… ] Ce dossier en première instance est une des raisons pour lesquelles la loi a changé  » assène l’avocat.

Je vous appelle à cette humanité, parce que j’ai l’impression qu’on se dirige vers une justice robot. On ne veut pas savoir le contexte, on veut appliquer la loi froidement.Me Thibault Millet – avocat du prévenu

Pour conclure sa plaidoirie, Me Millet a proposé trois solutions à la présidente de la cour d’appel. La première étant de confirmer la relaxe, « une décision osée mais humaine« . Les deux autres, « plus académiques« , peuvent aussi mener à la relaxe.

L’une s’appuyant sur les trois certificats médicaux fournis, et donc suffisamment d’éléments de forte présomption que le cannabis dont on parle, est non stupéfiant. La dernière suggère de se focaliser sur la citation, qui vise la période du 1er janvier au 24 mai 2022, où le prévenu avait déclaré : « Quand vous êtes venus chez moi j’avais juste de l’huile. Pas d’herbe, je ne fumais pas. J’attendais après la récolte pour faire de l’huile et avoir ma consommation.« 

« C’est un combat d’une vie et c’est le combat d’une société. On attend une décision forte de votre part donc je plaide à nouveau la relaxe » a conclu Me Millet. La parole revient alors au prévenu, qui déclare sans regret : « Mon fils c’est tout ce qui m’intéresse. Y a que mon fils, je le mets sur mon piédestal.« 

À la sortie de la salle, l’émotion est palpable. « Ne pas prendre en considération le mal-être que mon mari puisse avoir, ça franchement, ça me touche  » confie Tumata Vairaaroa, les larmes aux yeux. « C’est le ra’au de mon fils, ajoute Ariimatatini. […] Moi ça me fait rire, dans ce jugement ils me jugent moi, mais tu vois d’ailleurs, ils ont dit à mon fils de sortir. Alors qu’à la base, c’est pour lui que j’ai pris tous ces risques.« 

La cour d’appel rendra son arrêt le 15 mai. Si le père n’est pas relaxé une nouvelle fois, l’avocat de la famille a d’ores et déjà annoncé qu’il formerait un pourvoi en cassation.

Source : la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise

Publié le 03/04/2025

Auteur: Principes Actifs 1

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