Au Chili, des mamans cultivatrices de cannabis pour soigner leurs enfants

Paulina est une hors-la-loi: défiant l’interdiction au Chili de planter du cannabis, elle en cultive et n’est pas prête de s’arrêter, ravie des effets bénéfiques qu’elle dit constater sur sa fille Javiera, épileptique AFP/Archives – GUILLERMO LEGARIA

Paulina est une hors-la-loi: défiant l’interdiction au Chili de planter du cannabis, elle en cultive et n’est pas prête de s’arrêter, ravie des effets bénéfiques qu’elle dit constater sur sa fille Javiera, épileptique.

« Je n’ai pas d’autre choix », confie à l’AFP Paulina Bobadilla, convaincue d’avoir pris la bonne décision en se lançant dans la culture de cette drogue douce pour traiter l’épilepsie réfractaire (résistante aux médicaments) et la sclérose tubéreuse (maladie causant des tumeurs bénignes) de sa fille de 11 ans.

Dans le patio de sa maison, cette femme de 38 ans et présidente de la fondation « Maman cultive » – qui rassemble près de 600 mères cultivant de la marijuana pour soigner leurs enfants -, a dix plants de cannabis, de différentes souches.

Paulina vient de faire la récolte, et s’en suit un processus artisanal: en mélangeant la résine de la plante avec de l’huile d’olive, elle obtient une huile qu’elle administre sous forme de gouttes à Javiera depuis ses cinq ans, avec des résultats remarquables, assure-t-elle.

« En une semaine, tous les signes d’agressivité ont diminué. Jusque-là, nous n’avions plus l’envie ni la force d’avancer, et cela nous a apporté une lueur d’espoir après tant de temps à souffrir », raconte Paulina.

Diagnostiquée à l’âge de huit mois, Javiera était secouée au quotidien de convulsions et s’infligeait des blessures, allant jusqu’à s’arracher les ongles.

Désormais elle n’a plus qu' »une grosse crise par semaine » et sa vie est transformée: « Javiera peut fréquenter des gens, elle peut profiter de sa vie quotidienne, elle peut aller à l’école ».

Tous les jours, la fillette avale 30 gouttes d’huile de cannabis et 15 de Cannabiol, le premier médicament à base de cannabis vendu au Chili depuis mars.

Avant cela, elle était soignée avec des traitements coûteux, sans succès.

– Cinq années « tortueuses » –

Manifestation à Santiago du Chili pour la légalisation du cannabis, le 5 mai 2018 (AFP – Martin BERNETTI)
Paulina se rappelle « les tortueuses cinq premières années » de sa fille et d’elle-même « en train de pleurer tous les jours, avec un enfant souvent très irritable » et de moins en moins invité aux goûter d’anniversaire des camarades « pour ne pas ruiner la fête »

En 2013, la maman découvre des vidéos d’enfants épileptiques soignés avec du cannabis médicinal cultivé à domicile, aux Etats-Unis. Et se réjouit de voir que leur état s’améliore.

Pendant trois mois, de manière clandestine, elle achète la drogue à des dealers dans la rue, au risque d’être arrêtée par la police.

« Moi, la loi, je m’en fichais. Ce qui m’importait c’était qu’on me donne un bon produit. Bien sûr, j’avais peur: il fallait trouver où (en acheter), donner l’argent, attendre sans savoir s’ils allaient revenir. Puis ils te remettent le paquet et tu dois partir en courant ».

Elle décide ensuite de cultiver chez elle, au mépris de la législation locale qui l’interdit, de même que la consommation sur la voie publique. Seul l’usage privé est autorisé.

En 2014, au côté de la fondation Daya – qui promeut la culture individuelle de marijuana, à usage récréatif et médicinal -, elle rassemble d’autres femmes dont les enfants sont atteints de maladies réfractaires ou de cancer.

Sous le nom provocateur de « Maman cultive », elles sont aujourd’hui 600 mères de famille soulagées d’avoir trouvé ce traitement alternatif.

« On a essayé les meilleurs médicaments et rien ne procure à nos enfants la qualité de vie dont ils profitent maintenant » avec le cannabis, affirme Paulina.

L’association milite pour dépénaliser la culture de marijuana à des fins thérapeutiques et éviter ainsi que la police les arrête régulièrement pour détruire leurs plants.

Le Parlement chilien étudie actuellement une loi en ce sens et samedi, à l’occasion de la Marche mondiale du cannabis, des milliers d’habitants ont manifesté à Santiago pour réclamer la dépénalisation.

Face aux traitements à base de cannabis vendus en pharmacies à des prix allant de 70 à 300 dollars, « nous voulons un accès éthique à ces médicaments », clame Paulina, dont l’initiative a été imitée dans la région (Argentine, Colombie, Mexique, Paraguay, Pérou), réunissant au total plus de 5.000 mères de famille.

Source : Sciencesetavenir

Auteur: Philippe Sérié

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