Cancer en phase terminale : Une pilule de cannabis pour soulager la douleur des malades ?

Le cannabis peut-il accompagner des patients atteints d’un cancer en phase terminale, soulager leur douleur et améliorer leur qualité de vie avec plus d’efficacité que des opioïdes ? C’est ce qu’espère une petite entreprise pharmaceutique canadienne, qui lance dans les prochaines semaines un vaste essai clinique à Montréal.

Le projet de Tetra Bio-Pharma est de créer une pilule de cannabis séché homologuée par Santé Canada, prescrite par des médecins pour des patients atteints d’un cancer avancé et remboursée par les assurances. Si l’entreprise réussit, il s’agira d’une première au pays.

« Les patients qui vont participer à l’étude sont en phase très avancée de cancer, presque terminale, explique le PDG de Tetra Bio-Pharma, Bernard Fortier. Leur douleur n’est pas contrôlée par la médication actuelle, y compris les opioïdes. Donc ils n’ont plus d’autres options thérapeutiques. Ce sont des gens qui ont de la douleur presque en tout temps. »

Le cannabis médical est reconnu au Canada depuis 2001. Mais de nombreux médecins sont frileux quand vient le temps de le prescrire, parce que le contenu de ce cannabis n’est pas standardisé. Le cannabis médical n’est pas non plus remboursé par les assurances ni par la Régie de l’assurance maladie du Québec.

« On a vu des chiffres récemment qui montrent qu’une infime minorité de médecins au Canada prescrivent du cannabis médical, note M. Fortier. Leur Collège ne le leur permet pas vraiment en dehors d’une étude clinique. Mais il y a aussi le fait qu’ils ne sont pas à l’aise parce qu’ils n’ont pas le niveau d’information et de confiance qu’ils souhaitent. »

Le pari de Bernard Fortier et de ses associés est de faire homologuer leur pilule de cannabis médical qui est standardisée. Elle contient 9,5 % de THC et 2,5 % de cannabidiol CBD, deux des agents actifs du cannabis.

Mais pour ce faire, Tetra Bio-Pharma doit prouver son efficacité pour soulager la douleur et « aider la qualité de vie » de patients atteints d’un cancer.

La pilule PPP001 – le nom commercial n’est pas encore trouvé – a déjà franchi les deux premières étapes d’essai clinique. La troisième, la dernière avant la mise en marché, doit débuter à la fin du mois de février à Montréal.

Ce sont 946 patients atteints de cancer qui seront enrôlés. L’essai sera supervisé par la clinique Santé cannabis, près de la station de métro Berri-UQAM. Certains patients recevront la vraie pilule, qui se fume dans une petite pipe en aluminium. D’autres recevront le placebo.

« Basé sur les quelques données déjà disponibles, il y a un potentiel pour que le cannabis médical vienne réduire le besoin d’opioïdes et même la dépendance aux opioïdes. Le profil risques/bénéfices serait en faveur du cannabis médical », croit le PDG de Tetra Bio-Pharma.

Protéger les patients

Invité à commenter cette étude par La Presse, le Dr David Roberge, chef du département de radio-oncologie du CHUM, voit généralement d’un bon œil cet essai, dans la mesure où il pourrait apporter de nouvelles connaissances.

« Le problème avec le cannabis pour des usages médicaux, c’est qu’il n’a pas été sujet aux mêmes études cliniques que des médicaments. On ne le prescrit pas comme les autres médicaments, explique-t-il. Les assureurs qui remboursent les médicaments ne le remboursent pas. Son efficacité pour la douleur n’est pas démontrée aussi rigoureusement que dans le cas d’autres médicaments. »

Le Dr Roberge croit par ailleurs que l’arrivée d’un nouveau médicament homologué, et de ce fait remboursé, pourrait protéger certains patients. « J’entends des gens dire qu’ils achètent leur cannabis dans la rue parce que, selon eux, c’est moins cher que le cannabis thérapeutique. Mais ils ne savent pas ce que ce cannabis contient. Là, s’ils peuvent se faire rembourser leur médicament à base de cannabis, ça enraye ce problème », dit-il.

Des bémols

Le radio-oncologue exprime toutefois quelques bémols. Il se demande par exemple si un médicament à base de cannabis pourrait vraiment être supérieur à ceux qui existent actuellement. « Il existe des médicaments très spécifiques et très efficaces pour la nausée induite par les traitements, par exemple. Donc le cannabis va difficilement faire compétition à ces médicaments-là. Mais pour la douleur, peut-être », dit-il, ajoutant que ce ne sont pas tous les patients qui sont à l’aise avec la sensation que procure le cannabis.

Il note également que les patients atteints d’un cancer en phase terminale souffrent plus rarement de dépendance aux opioïdes, en raison de leur espérance de vie.

« On voit les effets négatifs des opioïdes chez des patients en phase terminale, mais on les voit moins. On voit l’engrenage de la dépendance chez des patients atteints de douleurs non cancéreuses avec des espérances de vie très longues. Plusieurs de ces personnes se retrouvent avec des problèmes liés aux opiacés. »

Bernard Fortier, lui, se dit convaincu qu’il existe un créneau chez les patients atteints d’un cancer avancé pour un médicament à base de cannabis. La petite pilule pourrait être sur le marché dès 2019 si l’essai clinique convient à Santé Canada.

« Les gens, le gouvernement, tout le monde se pose plein de questions à l’heure actuelle sur ce que peut faire le cannabis médical, note le PDG de Tetra Bio-Pharma. Il y a beaucoup de points d’interrogation actuellement. On a récolté beaucoup de ces données-là dans nos premières phases et cette troisième phase va en ajouter beaucoup plus. Je pense que ça va être bénéfique pour le milieu. »

Quelques études sur le cannabis et la douleur

Un article publié en juin 2016 dans le journal de l’American Pain Society conclut que le cannabis médical peut réduire l’usage d’opioïdes chez des patients atteints de douleur chronique. Chez les 244 patients qui consommaient du cannabis, l’usage d’opioïdes a reculé de 64 % (Boehnke, Litinas, Clauw). Dans une revue de la littérature exhaustive publiée en janvier 2017, les National Academies of Science, Medicine and Engineering notent que des « preuves concluantes » montrent que le cannabis peut réduire la nausée et les vomissements chez des patients qui suivent une chimiothérapie. Un article paru en septembre 2017 dans le journal Annals of Internal Medicine note que les études sur le cannabis médical n’arrivent pas à prouver qu’il agit efficacement sur la douleur. Les auteurs indiquent également que le cannabis induit une série d’effets secondaires, notamment à cause de son caractère psychotrope.

Source : pluslapresse.ca

Auteur: Philippe Sérié

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