Les députés mexicains donnent le feu vert au cannabis médical

MEXIQUE

 

En avril 2017, la Chambre des députés du Mexique approuvait, par une large majorité, l’usage, la production et la distribution de cannabis à des fins exclusivement médicales et scientifiques. La nouvelle loi reconnaît la valeur thérapeutique du THC. Le Mexique a fait un grand pas sur le chemin de la tolérance au profit de la santé des Mexicains.

 

Le vendredi 28 avril 2017, un avis permettant d’utiliser, de produire et de distribuer du cannabis à des fins médicales et scientifiques a été adopté par une large majorité à la Chambre des députés du Mexique. L’approbation de cette initiative lancée par le président mexicain Enrique Peña Nieto, qui continue à lutter contre le grave problème de trafic de stupéfiants, introduit les réformes du Sénat approuvées en décembre par la Loi générale sur la santé et le Code pénal fédéral.

 

La nouvelle loi réglemente seulement l’usage médical et scientifique

Tel qu’annoncé par la Chambre des députés dans un communiqué, « cet avis élimine la prohibition et la criminalisation des actes liés à l’usage médical de la marijuana et aux recherches scientifiques sur celle-ci et les actes concernant la production et la distribution de la plante à ces fins ». Cet avis avait été adopté préalablement au Sénat en décembre 2016 à partir de l’initiative que le pouvoir exécutif fédéral avait présentée à la Chambre à la fin d’avril de la même année.

La nouvelle loi, adoptée par 371 voix pour, 7 contre et 11 abstentions, a ensuite été dirigée au pouvoir exécutif pour sa promulgation et sa publication dans le Journal Officiel de la Fédération (DOF). Une fois qu’elle entrera en vigueur, il sera permis de cultiver, récolter, transformer, acheter et fournir du cannabis uniquement à des fins thérapeutiques ou pour réaliser des études et des recherches scientifiques au Mexique.

 

Dans ce même communiqué, on indique qu’on a confié au ministère de la Santé la tâche de concevoir les politiques publiques qui réglementent l’usage médical du cannabis et de ses dérivés pharmacologiques, incluant entre autres le tétrahydrocannabinol (THC), ainsi que ses isomères et ses variantes stéréochimiques. À son tour, ce même ministère sera chargé de créer une réglementation pour la recherche et la production nationales desdites substances, et d’accorder les autorisations nécessaires à l’importation de cannabis et de ses produits dérivés.

Il semble que les législateurs du Parti Action Nationale (PAN), de tendance conservatrice, aient émis des réserves visant à modifier le texte, mais celles-ci ont été rejetées par les autres partis.  Il convient de souligner qu’autant le PAN que le Parti de la Révolution Démocratique (PRD) ont proposé de permettre l’usage du cannabis à des fins récréatives également, ce qui reste en suspens pour le moment avec cette nouvelle loi.

A présent, au Mexique, suite à la réforme qui avait été introduite par la précédente loi en avril 2016, la possession allant jusqu’à 28 grammes de marijuana pour usage médical ou personnel n’est plus considérée comme un délit, ce qui constitue une autre mesure prise par le pouvoir exécutif pour s’éloigner des politiques punitives et prohibitionnistes de ladite guerre contre les drogues.

Reconnaissance de la valeur thérapeutique du TCH

 

En vertu des réformes introduites par la nouvelle loi, le THC (tétrahydrocannabinol) est désormais reconnu comme étant « une substance psychoactive ayant une valeur thérapeutique » qui ne pose pas un problème pour la santé publique, à condition que la concentration d’isomères soit égale ou inférieure à 1 %. Par conséquent, les produits dérivés du cannabis et ceux destinés à l’usage industriel qui respectent cette limite « pourront être commercialisés, exportés ou importés » en fonction de la réglementation sanitaire.

 

Le cannabis est ainsi retiré de la catégorie de « plantes prohibées », ce qui permet de semer, cultiver, récolter, transformer, acheter, posséder, vendre, transporter, fournir, employer et utiliser de la marijuana « à des fins médicales et scientifiques » pourvu que soient respectés les termes et les conditions de l’autorisation accordée par le pouvoir exécutif.

Il ne fait aucun doute que ces mesures représentent une avancée majeure. Jusqu’à présent, le Mexique avait franchi un pas important en légalisant l’usage médical du cannabidiol ou CBD, mais cette mesure demeurait insuffisante pour les patients. Le problème résidait dans le fait que les législateurs mexicains avaient approuvé l’importation de médicaments à base de CBD, mais non la production nationale. Cependant, le coût des produits importés principalement des Etats-Unis étant trop élevé pour les patients, la plupart d’entre eux ne pouvaient se permettre ce traitement pourtant indispensable.

 

Une loi présentée par le président et le mouvement citoyen

 

L’initiative législative de Peña Nieto, ladite « Initiative Marijuana Mx », a été le fruit d’un processus mené en grande partie par les patients mexicains et par les citoyens et ce, depuis 2015. L’initiative s’est concrétisée précisément au moment où l’affaire de la petite Grace a fait les manchettes après que ses parents, un couple du nord du Mexique, aient gagné une dure bataille juridique devant les tribunaux. En effet, le couple revendiquait l’accès pour leur fille à un traitement au cannabidiol, un dérivé du cannabis.

 

La petite Grace Elizalde Benavides est atteinte du syndrome de Lennox-Gastaut, une forme rare et grave d’épilepsie infantile qui provoque des dizaines de crises épileptiques par jour. Lorsque ses parents ont commencé à lui administrer du cannabis médicinal, son état de santé s’est nettement amélioré et la fréquence de ses crises convulsives a considérablement diminué.

Pour cette raison, ses parents se sont battus de toutes leurs forces pour avoir accès au traitement qui s’est avéré d’une efficacité inespérée pour leur fille. Ce cas a eu un retentissement majeur auprès de la population, ce qui a ouvert le débat et révélé un appui général de l’usage médical du cannabis. Cette affaire, à l’origine de cette loi, a fait en sorte que le président s’attèle à la tâche.

En 2015 également, un jugement historique de la Cour suprême du Mexique a autorisé la culture, la possession et la consommation de marijuana à des fins personnelles à quatre membres de l’association SMART.  Les juges ont basé leur décision sur le fait que les lois nationales considérant ces activités illégales violent les droits humains fondamentaux des Mexicains, ce qui implique que la prohibition absolue du cannabis est inconstitutionnelle. Ce constat a, sans aucun doute, attisé davantage social et politique entre ceux qui appuient la légalisation du cannabis au niveau fédéral et ceux qui s’y opposent.

À tout cela, il faut ajouter les importantes avancées réalisées en matière de réglementation du cannabis sur la scène internationale et aux Etats-Unis – ce voisin tout-puissant ayant inventé la prohibition du cannabis et la guerre contre les drogues.  Ceci se révèle paradoxal si l’on considère qu’aujourd’hui, aux Etats-Unis, la moitié des états ont légalisé le cannabis médical, et neuf états ont légalisé la consommation à des fins récréatives.

Ce paradoxe est encore plus absurde puisque, dans la pratique, les Etats-Unis financent les deux factions opposées de cette guerre vouée à l’échec. Alors que d’un côté, ils appuient les gouvernements et les forces de sécurité de l’Etat pour lutter contre le trafic de stupéfiants, de l’autre, les consommateurs de cannabis américains qui achètent sur le marché noir se trouvent à financer les bandes de narcotrafiquants ; un cercle vicieux auquel prétendent mettre fin les nouvelles politiques de Peña Nieto.

 

Affronter le trafic de stupéfiants et ses conséquences

Le Mexique est l’un des plus importants producteurs de cannabis en Amérique latine, en plus d’être l’un des pays les plus violents au monde. La guerre contre le trafic de drogues, menée depuis de nombreuses années, s’est aggravée en 2006. En effet, la stratégie mise en place par le gouvernement de Felipe Calderón a entraîné une vague de violence qui, selon les chiffres officiels, a fait plus de 177 000 morts et 30 000 disparus.

Le gouvernement de Peña Nieto continue à lutter contre la violence et l’immense pouvoir des cartels de la drogue, qui à ce jour s’organisent et fonctionnent comme de grandes multinationales – ce qu’illustre clairement le fiasco de la prohibition, mais aussi, de la guerre contre les drogues. Dans de telles conjonctures, il paraît extrêmement improbable que le Mexique puisse suivre la cadence et parvenir aux mêmes réalisations que son voisin nord-américain.  Les efforts seraient d’autant plus compliqués si quelqu’un parvenait à construire un mur entre ces deux pays (blague à part!).

Par ailleurs, il faut souligner que les représentants mêmes du pouvoir exécutif mexicain ont reconnu publiquement que leur proposition peut paraître limitée, voire contradictoire, du fait de la pression exercée par les médias de communication et spécialement de l’opinion publique.

L’opinion publique s’avère en effet divisée et même contradictoire. Selon les dernières enquêtes sur l’usage médical et récréatif du cannabis réalisées dans ce pays nord-américain, 72,4 % des personnes interrogées sont en faveur de la légalisation à des fins médicales, alors que 76,2 % se disent contre la légalisation à des fins récréatives.

En dépit des progrès réalisés au Mexique ces dernières années, l’opinion publique demeure conservatrice en ce qui concerne la légalisation de cette plante.  Même si la perception sociale du cannabis a évolué – et malgré l’ampleur de l’ouverture du débat – une grande partie de la population mexicaine continue à associer la légalisation de la marijuana avec les trafiquants de cannabis.

Un pas de plus concernant le cannabis au Mexique

Beaucoup de chemin reste à faire dans le dossier général de l’humanisation des politiques sur les drogues, et en particulier, en ce qui concerne la marijuana à l’échelle mondiale.  Nonobstant, il ne fait aucun doute que le Mexique s’est finalement mis à l’œuvre.  Cette réforme introduite par les députés, au profit de la santé des Mexicains, peut améliorer grandement la qualité de vie de nombreux patients. Toutefois, en dépit de cette avancée législative, le pouvoir exécutif doit encore réglementer plusieurs autres aspects bien concrets, tels que l’autoproduction, l’attribution de licences et la dépénalisation de la culture et de la consommation de cannabis.  Il faudra suivre de près le développement de ces événements afin d’observer comment se traduira cette loi dans la pratique. Il reste encore beaucoup de dossiers à régler – tels que la légalisation totale du cannabis, tant souhaitée par de nombreux Mexicains – et de la bonne manière.

 

Source : sensiseeds.com

 

 

Auteur: Philippe Sérié

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