Cannabis thérapeutique : l’activisme injustifiable de l’Académie nationale de pharmacie

Bonjour

Pour un peu on se gausserait. Sur le mode « l’Academie abuse la galerie ». Les faits : un communiqué de presse daté du 17 juin de l’Académie nationale de pharmacie : « Cannabis ‘’thérapeutique’’ : une appellation abusive et dangereuse ». Cette institution entend aujourd’hui « mettre en garde contre une banalisation de préparations de cannabis qui trompe les attentes des patients en se faisant abusivement passer pour ‘’thérapeutique’’ ». Extraits de ce réquisitoire que l’on pourrait tenir pour être d’un autre temps :

« 7 % des jeunes français de 17 ans sont dépendants au cannabis. Les intoxications au cannabis par ingestion accidentelle chez les enfants ont été multipliées par 2,5 de 2010 à 2014. Le cannabis est la 3ème cause de déclenchement d’infarctus du myocarde ; il est une cause largement sousestimée de mortalité y compris par cancer du poumon – usage sous forme de cigarettes (Nawrot TS, Perez L, Künzli N, et al. Public health importance of triggers of myocardial infarction: a comparative risk assessment. Lancet, 2011. Aldington S, Harwood M, Cox B, Weatherall M, Beckert L, Hansell A, Pritchard A, Robinson G, Beasley R; Cannabis and Respiratory Disease Research Group. Cannabis use and risk of lung cancer: a case-control study. Eur Respir J. 2008). Les parents consommateurs de cannabis exposent leurs enfants à une vulnérabilité accrue aux drogues (Szutorisz H, Hurd Y. Epigenetic effects of cannabis exposure. Biological Psychiatry, 2016). »

Et l’Académie de parler d’un « abus de langage ». « Des extraits de plantes fournissent les principes actifs de médicaments, comme la morphine extraite du pavot ou le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD) du cannabis. Pour autant, même si la morphine ou la codéine entrent dans la composition de médicaments, l’opium ‘’thérapeutique’’ n’existe pas. Le cannabis ‘’thérapeutique’’ non plus, explique-t-elle. Mélange végétal composé de 200 principes actifs différents, variables en quantités et en proportions en fonction des modalités de culture, de récolte, de conservation, n’étant ni dosé, ni contrôlé, le cannabis dit thérapeutique ne peut apporter les garanties d’un médicament. »

Mieux encore elle dénonce un « abus de confiance ». Toute appellation « médicale » ou « thérapeutique » appliquée à un produit n’ayant pas suivi le « long processus réglementaire » de l’AMM est, selon elle, « abusive et illicite ». Et de rappeler quatre « médicaments » issus de cannabinoïdes de synthèse et d’un extrait pur de cannabis (cannabidiol), sont actuellement autorisés « dans certaines situations cliniques spécifiques et des conditions rigoureuses de prescription » : le THC de synthèse (Marinol®) et un dérivé synthétique du THC (Cesamet®), le cannabidiol (Epidyolex®) et le Sativex® (non commercialisé en France).

Et pour achever le tout l’Académie estime que l’on « abuse les patients » :

« Avec 1 300 000 usagers réguliers, la France est le premier pays européen consommateur de cannabis, malgré son statut illicite et les risques notoires qu’il fait courir sur les plans physique et psychique. Le THC stimule les récepteurs cannabinoïdes dans le cerveau, provoquant les effets bien connus des consommateurs, mais il produit surtout des effets délétères souvent irréversibles, notamment chez les plus jeunes : décrochage scolaire ; effets désinhibiteurs ; dépression, pouvant conduire au suicide ; déclenchement ou aggravation de la schizophrénie ; induction d’une polytoxicomanie ; responsabilité avérée dans les accidents de la route et en milieu professionnel ; augmentation du risque de cancer du poumon… ».

Désinformation idéologique

Aucun hasard : cette sortie coïncide avec le processus mis en place en France pour (après des années de déni) pour organiser au mieux la délivrance raisonnée de « cannabis thérapeutique ». Un processus placé sous la direction du Pr Nicolas Authier (Service de pharmacologie médicale & CETD, CHU de Clermont-Ferrand ; Observatoire Français des Médicaments Antalgiques) dans le cadre de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Avec l’annonce, aussi, en mai dernier de la création d’Espoir (Im)patient,  premier lobby français dont l’action sera au service des malades qui pourraient être aidés par une version médicamenteuse du cannabis. Une initiative qui réunit une cinquantaine de patients, proches de patients et professionnels de santé (Amine Benyamina, William Lowenstein,  Olivier Bertrand, Bertrand Lebeau et Rodolphe Ingold). Et une action sera développée  dans le cadre des travaux conduits au sein de l’ANSM.

Nous avons demandé au Pr Authier quelle lecture il faisait du communiqué de l’Académie nationale de pharmacie. Voici sa réponse :

« L’Académie nationale de pharmacie est le parfait exemple de cette désinformation  idéologique, jouant sur les peurs et les risques, faisait fi de la souffrance humaine et de la médecine. Des propos irresponsables qui n’honorent pas cette académie dont l’intégrité scientifique interroge. Des propos qui s’avèrent probablement plus dangereux vis à vis des populations jeunes et vulnérables aux addictions ou usages à risque. Ils participent plus à rendre attractif des préparations pharmaceutiques, qui ne les seront pas, et à une désinformation du grand public. Ne pas être en mesure de faire la différence entre un usage thérapeutique de préparations pharmaceutiques calibrées, prescrites pour soigner et rigoureusement surveillées, et un joint de résine ou d’herbe de cannabis obtenu illégalement en deal de rue pour faire la fête ou se défoncer, montre la totale méconnaissance clinique du sujet par les académiciens. »

Pour le Pr Authier, ces Académiciens  « oublient volontairement de dire  qu’un médicament à plusieurs statuts possibles et que l’AMM n’est pas le seul moyen de rendre accessible un médicament (ATU, RTU, préparations pharmaceutiques et magistrales) ». « Pire encore, ajoute-t-il, ils mentent en expliquant que l’opium n’est pas un médicament en France : la poudre d’opium est consommée comme antalgique par plus de trois millions de français chaque année dans des spécialités pharmaceutiques (donc avec une AMM) comme Lamaline® et Izalgi®. Engager la responsabilité de toute une Académie en publiant des allégations fausses, hors sujet voire mensongères d’un groupe d’académiciens activistes interroge sur le (dys)fonctionnement de l’Académie de pharmacie et sa légitimité à s’exprimer sur de tels sujets. »

Pour le Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions, aucune véritable surprise « Cet abus de position, pour dire n’importe quoi, dure depuis vingt ans, nous a-t-il déclaré. Être Académicien et mentir par activisme réactionnaire ne devrait pas exister – à la différence du cannabis à usage thérapeutique. » Cet activisme insoupçonné conduira-t-elle la vieille institution pharmaceutique à répliquer ? Aura-t-elle, Rodrigue moderne, assez de cœur pour descendre sur le pré ?

A demain @jynau

1 Sur ce thème, on peut se reporter avec le plus vif intérêt au texte du  Pr Nicolas Authier publié sur le site The Conversation : « Pourquoi nous devrions expérimenter le cannabis thérapeutique en France ».

Source : Le blog de Jean-Yves Nau, journaliste et docteur en médecine

Auteur: Philippe Sérié

Partager cet article :