Les géants mondiaux du cannabis visent maintenant l’Europe

Un an après la légalisation au Canada, l’industrie de la marijuana vit un bad trip boursier. Et rêve du Vieux Continent pour doper ses ventes.


Culture du cannabis par l’entreprise Canopy Growth, dans l’Ontario, en 2018. Le Canada fait face à des surplus de production d’herbe et à une incertitude concernant la fin de sa prohibition (au niveau fédéral) aux Etats-Unis. Les acteurs du secteur cherchent de nouveaux débouchés.
Reuters

Ce fut la journée des enfants sages. Les détecteurs de fumée sont restés muets et aucune odeur suspecte n’est venue troubler l’attention des participants au road show sur le business du cannabis, organisé par la banque d’affaires Bryan Garnier, le 28 novembre dans les salons cossus de l’hôtel Mayfair à Londres. A l’instar des autres invités, Chris Burggraeve, PDG de Toast, fabricant de « cigarettes » à la marijuana, s’est bien gardé de distribuer des échantillons – illicites – à l’issue de son intervention. En revanche, lui comme ses petits camarades ont su profiter de ce raout pour plaider la cause de la légalisation de la production et de la consommation d’herbe en Europe. Tout en s’efforçant, dans le même temps, de rassurer une partie de l’auditoire refroidi par l’effondrement boursier des poids lourds du secteur.

Un an après la légalisation du joint au Canada et dans plusieurs Etats américains, cette industrie naissante connaît son premier bad trip. Confrontées à des surplus de production d’herbe au Canada et à une incertitude concernant la fin de sa prohibition – au niveau fédéral – par les autorités américaines, les stars montantes de ce business – Canopy Growth, Tilray, Aurora ou Aphria -, cherchent d’urgence de nouveaux débouchés. En Asie, en Amérique latine et surtout sur le Vieux Continent. « Des dizaines de millions de gens consomment du cannabis illicite dans le monde et l’utilisation du cannabis à des fins médicales en est à ses balbutiements », observe Nikolaas Faes, analyste financier chez Bryan Garnier.

Marché légal restreint

Mais, à la différence d’autres business, la croissance du cannabis dépend principalement de sa légalisation. « Nous devons mieux vendre le futur de notre industrie », s’est enflammé Bruce Linton, cofondateur et ex-directeur financier de Canopy Growth, qui s’est lancé dans une opération de lobbying intense auprès des autorités de santé de plusieurs pays européens.

Certes, la majorité des Etats membres de l’Union européenne autorisent la commercialisation de produits médicinaux à base de cannabidiol (CBD) – notamment prescrits pour lutter contre la douleur. Mais la France préfère attendre les résultats des tests in vivo avant de donner son feu vert. « En outre, un marché légal ne signifie pas un marché ouvert. En Grande-Bretagne, c’est légal mais nous comptons à peine 200 patients ! », observe Stephen Murphy, patron de Noble, un cabinet de recherche sur le cannabis. Selon ses promoteurs, le cannabis médical reste confondu par les décideurs européens avec l’herbe, qui contient du THC, la molécule recherchée pour ses effets psychotropes. « Pour eux, le cannabis thérapeutique n’est qu’une étape avant la légalisation de l’herbe », déplore Marie Sanchez, avocate au cabinet Dentons.

« Effet domino »

Le rêve ultime des industriels du shit reste la légalisation généralisée du pétard en Europe. « Si un Etat membre le décide alors nous pourrions assister à un effet domino », pronostique Nikolaas Faes. Seul le gouvernement luxembourgeois de Xavier Bettel a ficelé un projet de loi, reporté sous la pression de l’Allemagne et de la France, cette dernière s’inquiétant de voir les amateurs de cannabis traverser la frontière pour en acheter. Dans les autres pays européens, l’idée d’une légalisation de la consommation et de la production de cannabis récréatif chemine… lentement. Alors que le gouvernement français s’y refuse, la CDU, le parti d’Angela Merkel, qui y était hostile, a opéré en octobre un revirement décisif, en évoquant « la possibilité d’une production et d’une distribution contrôlée ». Au Royaume-Uni, seuls les libéraux démocrates ont proposé la légalisation dans leur programme pour les législatives. La meilleure porte d’entrée pour les majors de la weed reste les pays du sud. Cela représente un enjeu majeur pour des Etats dépendants du tourisme comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal », observe Nikolaas Faes. Même si, sur les plages – d’Ibiza à Santorin -, les rois de la fiesta ont déjà leurs fournisseurs.

Cette carte détaille les différences de législation pour la détention et l’usage du cannabis récréatif. Aucun pays européen n’a, pour l’instant, autorisé la production et la distribution du cannabis récréatif comme outre-Atlantique.

 

Source : challenges.fr

Auteur: Philippe Sérié

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