Pour comprendre l’autoculture du cannabis, des scientifiques cherchent des producteurs en herbe

A la recherche d’une meilleure qualité ou tout simplement pour éviter de nourrir le marché parallèle, de plus en plus de consommateurs d’herbe décident de cultiver leur jardin. Une grande enquête menée par un consortium de chercheurs s’intéresse à cette tendance.

View of a cannabis plant planted by the Mexican Cannabis Movement in front of the Mexican Senate in Mexico City, on March 10, 2021. – Mexico is one step away from decriminalizing the recreational use of marijuana after the Mexican Chamber of Deputies approved a bill on the matter, which must be voted on again by the Senate after modifications to the original bill. (Photo by CLAUDIO CRUZ / AFP)

Avez-vous la main suffisamment verte ? Combien de plants réussissez-vous à cultiver ? Et quelle variété choisir ? Plutôt indica, sativa ou bien hybride ? C’est à ce genre de questions qu’une enquête internationale autour de l’autoproduction de cannabis vous propose de répondre jusqu’au 30 septembre.

Lancé pour la première fois en 2012,  le Questionnaire international sur la culture de cannabis (ICCQ) s’intéresse pour la première fois à la France  et à sa cohorte de cultivateurs de ganja. «Grâce à la contribution de plus de 6 500 cultivateurs à travers le monde, nos chercheurs ont pu publier plus de dix-huit articles scientifiques qui ont contribué à combattre les stéréotypes sur les cultivateurs de cannabis», précise le groupe de chercheurs à son initiative.

«Des proportions sans précédent»

Ce questionnaire, développé par les membres du Global cannabis cultivation research consortium (GCCRC), cherche à mieux comprendre la culture de cannabis. Il vous prendra une bonne vingtaine de minutes pour le remplir. «Bien qu’il n’y ait aucun avantage direct pour vous, votre participation contribuera à un plus grand ensemble de connaissances qui améliorera notre compréhension collective de la culture du cannabis à petite échelle. La collaboration internationale nous permettra également de comparer les producteurs de différents pays. Nous partagerons nos résultats avec vous via le site web du projet», souligne le GCCRC.

Pour Marie Jauffret Roustide, chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), «la question de l’autoculture est un angle mort dans le pays. Nous avons cette vision du cannabis avec d’un côté les dealers et le trafic, de l’autre les consommateurs qui seraient de pauvres victimes des dealers. Désormais, avec les propos de Gérald Darmanin, nous sommes face à un nouveau discours avec des usagers qui seraient responsables du trafic et donc complices. C’est un imaginaire très caricatural autour du monde des drogues».

«Avant, on était des usagers qu’on accompagnait. Maintenant, on est des complices», abonde Lorenzo. A 44 ans, l’homme qui habite en Dordogne cultive depuis vingt-trois ans du cannabis. Cette année 2021 fut l’occasion pour lui de planter à la fois en intérieur et à l’extérieur. «J’ai fait pousser au printemps. J’avais six pieds de cannabis en autofloraison et six autres pieds femelles. Ça m’a tenu trois mois», explique le quadragénaire qui indique qu’autour de lui, nombreux sont ceux à se rêver en Nicolas le Jardinier.

Pour Lorenzo, l’autoproduction est le meilleur moyen pour s’assurer de la qualité du produit. Et d’éviter un certain nombre de désagréments. «Cela peut parfois être compliqué de s’approvisionner en cannabis, certains ne veulent pas alimenter le marché noir, d’autres ont peur de la police qui fait bien son métier et délivre les amendes forfaitaires délictuelles, liste-t-il. C’est aussi l’envie de ne plus aller dans des lieux cramés ou d’avoir de mauvaises fréquentations. Même si c’est du travail, l’autoproduction prend des proportions sans précédent.» Des kits comprenant les fertilisants et additifs nécessaires pour la culture du cannabis sont facilement disponibles à l’achat sur Internet pour moins de 60 euros, tandis qu’il est possible de s’offrir une armoire de culture d’intérieur pour moins de 100 euros en trois clics.

«Couper l’herbe sous le pied de la mafia»

L’enquête du Baromètre Santé de 2017 portant sur les usagers récents (dans le mois) de cannabis âgés de 18-64 ans donne une image précise de la situation. Elle montre que 7 % d’entre eux, soit entre 150 000 à 200 000 personnes, auraient eu recours à l’autoculture dans les douze derniers mois. Quelque 3 % d’entre eux, soit 65 000 personnes environ, n’auraient pas acheté de cannabis par ailleurs au cours de la période. Côté police, depuis le début des années 2010, les quantités d’herbe saisies en France ne cessent de grimper : moins de 4 tonnes avant 2010, elles atteignent aujourd’hui des niveaux sans précédent, avec près de 30 tonnes en 2019. En termes de saisies de pieds de cannabis, la police nationale affirme avoir mis la main sur 180 509 plants de cannabis en 2019 contre 137 074 en 2017.

Pourquoi la culture du cannabis est en plein essor ? Le jardinage, faire les choses par soi-même et surveiller sa consommation font partie des dynamiques qui se sont accentuées depuis deux ans avec l’épidémie de Covid-19. Pour Marie Jauffret Roustide, un élément important à retenir est lié à l’attrait pour «l’herboristerie» : «De plus en plus de personnes ont la volonté d’utiliser des plantes pour se soigner, de ne plus avoir recours à des médicaments. Il faut rappeler que la France reste le pays d’Europe où on consomme le plus de benzodiazépines [des antidépresseurs, ndlr]. Cultiver du cannabis est également un bon moyen pour les consommateurs de reprendre le contrôle sur leur consommation, avec certains usagers qui veulent développer leur expertise.»

En Italie, la Cour de cassation a légalisé en décembre 2019 le fait de faire pousser des plants de cannabis chez soi pour sa consommation personnelle. «C’est le meilleur moyen de couper l’herbe sous le pied de la mafia, assume Lorenzo. Les observateurs le savent bien. C’est la prohibition qui fait prospérer ces réseaux mafieux. Ce serait bien que quelqu’un comme l’écrivain Roberto Saviano rencontre notre cher ministre de l’Intérieur. Il sait de quoi il parle.»

Source : liberation.fr

Auteur: Philippe Sérié

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