Un symposium cannabis sur fond d’Amérique sans drogue à Biarritz
Au récent colloque THS 11, deux professeurs américains intervenant sur le cannabis médical aux USA, Herbert Kleber et Robert Booth, ont déroulé une propagande « scientifique » calquée sur l’argumentaire du lobby Partnership for a Drug-Free Americ (PDFA). Une présentation faible en sources « on evidence based » et sans débat avec la salle faute de temps. Assistions-nous à un retour des dinosaures ?
Le retour des mythes contre la réalité
Comble de l’ironie, le titre de l’intervention d’Herbert Kleber était « Cannabis : Mythes et réalités », un bel exercice de nécrophagie nappée dans l’addictologie. Lynn Zimmer et John Morgan, les auteurs du livre ainsi nommé et détourné par Kleber, doivent se retourner dans leurs tombes. Les patients-usagers de cannabis médical et les amis de Lynn et John présents l’ont très mal vécu.
L’organisation chaotique du cannabis médical en Amérique est la conséquence de la politique du NIDA et de la FDA qui ont bloqué toute recherche fédérale hormis les études à charge, principalement in vitro et avec du THC synthétique.
Au moment où les USA commencent à réguler les marchés du cannabis, on nous exhibe deux des derniers prohibitionnistes américains. Leur démonstration n’avait qu’un objectif : montrer que le cannabis médical entraîne une augmentation globale de la consommation et qu’il n’est qu’une manœuvre préparant la légalisation du cannabis récréatif.
La rigueur n’était pas au rendez-vous de ce Te Deum prohibitionniste. Après avoir admis que le CBD pouvait atténuer les angoisses et les psychoses cannabiques, le vénéré Professeur Kleber a expliqué tout l’intérêt de prescrire du Cesamet (THC pur de synthèse connu pour rendre parano) dans le cadre du traitement du cannabisme, un peu sur le modèle de la méthadone. Cette recommandation est moins surprenante lorsque l’on sait que le PDFA est largement subventionné par les laboratoires pharmaceutiques, après avoir longtemps accepté l’argent des lobbies de l’alcool et du tabac.
Sorties de bunker pour légendes scientifiques
Quatre points clés sont plus que contestables dans « l’argumentation » de Kleber :
1. Le cannabis de John Lennon ne faisait pas 1% de THC. En 1972, une saisie de cannabis de la police néerlandaise avait déjà été mesurée à 19% de THC (rapport Ban, 1973 NL). La « diabolique Skunk » a été hybridée en Californie dans les années 70/début 80. Il en va de même pour la quasi-totalité des variétés de base des croisements actuellement sur le marché comme la Northern Light ou la OG Kush.
C’est la première vague mondiale de répression qui a transformé le marché : les fournisseurs indépendants de bonnes qualités ont été arrêté, ont arrêté le trafic, se sont cachés avec de petites surfaces. Le cannabis de basse qualité (faible en THC) fourni par les organisations criminelles (colombienne et mexicaine pour les USA, corsico-hispano-marocaine pour la France) a envahi le deal dans les années 80. Il sert aujourd’hui de valeur plancher à cette démonstration biaisée sur l’explosion du taux de THC. L’essor de l’autoproduction sous lampe a rétabli les valeurs.
2. La théorie de l’escalade, pourtant morte et enterrée sous une tonne d’études convergentes dont le Rapport de la Commission fédérale suisse pour les questions liées aux drogues (1999) et celui du Sénat canadien sur le cannabis (2002)
3. L’affirmation d’une explosion des cancers et des psychoses cannabiques malgré une absence totale d’études épidémiologiques convergentes. Après 40 ans de progression exponentielle de l’usage, la prévalence de la schizophrénie reste stable malgré une bien meilleure détection.
Le Professeur Tashkin (pourtant longtemps financé par le NIDA) n’a pas détecté d’épidémie de cancers ou de maladies pulmonaires liée au cannabis à Los Angeles, Californie, la Mecque du cannabis américain. La population étudiée reste la plus importante suivie à ce jour.
4. Quant à la corrélation entre l’acte sexuel et la consommation de cannabis souvent répétée, démonstration et risques sont passés sous silence. Comme toujours, les prohibitionnistes tapent en dessous de la ceinture pour faire flipper. Toujours le même remake de la campagne de propagande des années 30 à 50 affirmant que le cannabis poussait les jeunes blanches à avoir des relations sexuelles avec des Noirs.
Le cannabis médical au Colorado
Le cas de Robert Booth est encore plus caricatural, son absence d’expertise dans le domaine n’est pas étonnante : il n’a jamais rien publié sur le cannabis. Il a fondé une grande partie de sa démonstration sur des « histoires de chasse » collectées auprès du public de son institution de traitement de la dépendance, un biais majeur pour un échantillon inférieur à 40 sujets. Il est facile de trouver sur Internet des dizaines de témoignages face caméra de patients affirmant que le cannabis leur a sauvé la vie. Il ne s’agit pas d’une présentation scientifique, juste des éléments à porter au dossier.
Robert Booth alerte sur une explosion de la consommation des jeunes du Colorado liée à l’ouverture des dispensaires de marijuana médicale. Une étude reprise par le Huffington Post affirme le contraire. Cette étude récente sur le Montana, Rhode Island, le Michigan, et le Delaware conclut que les premières années de l’application de la nouvelle loi médicale n’a pas affecté de manière mesurable l’usage de marijuana chez les adolescents. Booth a aussi avancé le chiffre impressionnant de 230 847 patients ayant déposé une demande d’enregistrement, omettant de préciser qu’il s’agissait du nombre total de demandes depuis juin 2001 et que le nombre de patients détenteurs d’une carte en cours de validité était de 109 622 en aout 2013. Plus de la moitié des patients ont donc arrêté l’usage médical alors que l’usage récréatif n’a pas chuté dans les mêmes proportions. La future légalisation du cannabis récréatif permettra de sortir de l’hypocrisie et ainsi de faire le tri entre les usages.
R. Booth critique le manque de précision dans les indications et les dosages du cannabis médical au Colorado mais oublie de préciser que la FDA et le NIDA refusent encore aujourd’hui de financer et d’autoriser des études fédérales sur la marijuana médicale. La psychiatre new-yorkaise Julie Holland le déplore : « Notre gouvernement n’autorise que les recherches sur les dangers des drogues, pas sur leurs aspects thérapeutiques. »
Un débat mondial
Uniquement centrées sur le THC et récemment sur le CBD, les recherches du passé sont largement obsolètes. Le cannabis thérapeutique n’est pas qu’un composant isolé. Utiliser une association complexe de cannabinoïdes semble préférable : telle est la conclusion de la dernière publication du Professeur Mechoulam (Mechoulam et Parker, 2013)
Les dommages collatéraux de cette présentation partiale sont déjà sensibles. Invité sur France-Culture, le docteur Amine Benyamina, modérateur à Biarritz, a repris sans nuance les affirmations négatives de Robert Booth sur le système du Colorado, pour bien rebondir sur la nécessité de mener en France des recherches pharmaceutiques et médicales beaucoup plus conventionnelles.
Peut-être trop, on perdrait bien moins de temps à investiguer scientifiquement les pratiques d’automédication développées par les patients des dispensaires américains ou dans la clandestinité en Europe. Les malades en souffrance n’ont pas le temps pour ces querelles de chapelles stériles et ces guerres de laboratoires.
Présents à Biarritz
Laurent Appel (ASUD), Patrick Favrel (Sos Hépatites), Mario Lap (Drugtext Foundation), Fabienne Lopez (Principes Actifs), Jérôme Tetaz (Principes Actifs)