Je m’appelle Tatiana, j’ai 33 ans et je suis atteinte d’une maladie auto-immune méconnue, depuis plus de 10 ans : la narcolepsie avec cataplexie.
Je l’ai déclarée en 2006, pendant un voyage d’étude en Inde, pour lequel j’ai reçu 4 vaccins : hépatite A + typhoïde, méningoccique A + C, Hépatite B (Engerix B20) et encéphalite japonaise. J’ai fait tous les vaccins conseillés par le médecin, trouvé dans la précipitation du départ, sans penser que j’avais déjà été vaccinée enfant contre l’hépatite B et que mon système immunitaire avait tendance à « sur-réagir » aux infections. Le premier symptôme qui s’est manifesté une quinzaine de jours après mon arrivée en Inde est la paralysie du sommeil : au réveil, l’esprit est conscient mais le corps ne répond pas et le sentiment d’impuissance que ça génère amène à la panique, d’autant plus quand on ne sait pas ce qui nous arrive. Des accès de somnolence diurne sont également apparus au cours des 2 mois suivants, je me suis même endormie tout en marchant, mais je ne me suis pas inquiétée, trop émerveillée par la découverte de l’Inde.
En rentrant en France, ces symptômes ont persisté et d’autres se sont installés. Ils ont progressivement gagné en intensité entre 2006 et 2009, sans que je trouve la moindre explication rationnelle à ce que j’étais entrain de vivre : un sommeil déstructuré et non réparateur, des hallucinations visuelles, auditives et tactiles au moment du coucher, des comportements automatiques pendant les périodes de somnolence, une certaine irritabilité/agressivité au réveil, des absences au volant, une perte globale de tonus musculaire liée aux émotions… Après 2 ans d’expériences troublantes, j’en suis arrivée à conclure que j’étais soit folle, soit possédée. J’ai cherché des réponses chez tous les « gourous » de la région avant de pousser la porte d’un cabinet de neurologie, en avril 2009. 3 indicateurs ont suffit à la neurologue à poser le diagnostic, confirmé par un enregistrement de sommeil à l’hôpital quelques temps après : Les accès irrépressibles de sommeil en journée, les hallucinations/paralysies du sommeil et les pertes de tonicité liées au rire. Quand elle a prononcé le mot « Narcolepsie », j’ai vécu à la fois un véritable soulagement de savoir que je ne perdais pas la tête et une profonde peur de cette maladie qui allait bouleverser ma vie.
Le premier traitement qui m’a été prescrit par la neurologue de Saint Brieuc, à l’âge de 24 ans, comprenait un antidépresseur (Effexor) et un dérivé d’amphétamine (Modiodal). Je l’ai très mal supporté, je me suis sentie exténuée, maintenue éveillée artificiellement par les excitants alors que mon sommeil de très mauvaise qualité ne me permettait pas de récupérer. J’ai fini par changer d’antidépresseur, sans réel gain de confort, puis prendre rendez-vous à la Pitié Salpêtrière avec la neurologue responsable du service des pathologies du sommeil afin de trouver une alternative aux médicaments que je supportais mal.
Elle s’est montrée très humaine, à l’écoute, rassurante et m’a proposé de changer de traitement pour intégrer un médicament me permettant de trouver un sommeil de qualité : le Xyrem, distribué uniquement en pharmacies hospitalières et très encadré car proche du GHB. Ce produit est considéré comme un stupéfiant et fais l’objet de mesures de surveillances particulières. Elle m’a également expliqué que la narcolepsie est une maladie irréversible, qui ne se soigne pas. Les traitements permettent seulement de « gommer » les symptômes de somnolence et de cataplexie. Dans l’absolu, je pourrais vivre sans médicaments en m’accordant une sieste de 20 minutes toutes les 2 heures. Entre 2010 et 2016, j’ai pris quotidiennement du Xyrem pour me plonger artificiellement dans un sommeil très profond, proche du coma, et réparateur. Seulement, les effets secondaires sont devenus de plus en plus difficiles à vivre : pipi au lit, colère lorsque quelqu’un me réveillait, ronflements puissants, réveils très difficiles… En 2016, mes ronflements et mes colères liés au Xyrem ont eu raison de mon couple, aussi j’ai cherché des alternatives plus naturelles et confortables.
Je fume du cannabis depuis de nombreuses années, j’en avais un usage récréatif comme beaucoup d’étudiants jusqu’à ce que je déclare la maladie. Au moment du diagnostic il m’a été conseillé d’arrêter toutes les substances excitantes (tabac, alcool, café…), ce que j’ai fait pendant quelques temps. J’ai recommencé à fumer quand les effets secondaires des différents médicaments ont commencé à me rendre la vie dure. Lors de mon 1er rendez-vous à la Salpêtrière, j’ai dit à ma neurologue que je pensais que le cannabis pouvait m’aider à trouver le sommeil et à le rendre plus long et réparateur. Elle m’a confirmé que les substances actives du cannabis agissaient sur la qualité du sommeil, et m’a confié que si elle le pouvait, elle m’en prescrirait. Elle m’a conseillé de faire mes expériences, en restant consciente de l’illégalité du produit. Au fur et à mesure des années, j’ai appris à identifier les aménagements nécessaires dans ma vie quotidienne pour vivre au mieux avec la Narcolepsie : réorientation professionnelle, limitation des trajets en voiture, sieste systématique le midi et éventuelle après les 2 autres repas, cannabis avant le coucher…
En 2016, après une rupture amoureuse étroitement liée à ma situation de santé, j’ai décidé d’arrêter tous les médicaments, avec l’accord de ma neurologue. J’ai progressivement diminué le Xyrem et l’ai substitué par des joints de cannabis le soir qui m’ont permis de garder une qualité de sommeil correcte. Avec l’essor récent du CBD thérapeutique, j’ai eu l’espoir de pouvoir me soigner légalement et j’ai choisi de me tourner vers des variétés médicinales, sélectionnées pour leur richesse en CBD et une teneur en THC faible, me libérant ainsi des effets psycho actifs attribués au THC.
Malheureusement, les normes imposées sur les variétés médicinales (moins de
0.2 % de THC) sont trop basses comparées aux réalités de terrain : aucune variété cultivée ne permet de répondre à ces normes, la plupart des plantes contenant au moins 1% de THC.
Après quelques années d’expérience, je ronfle beaucoup moins, je n’ai quasiment plus d’attaques de sommeil en journée (grâce à mon sommeil plus réparateur et aux siestes) et mon irritabilité a largement diminué. Je me sens plus sereine, moins inconstante émotionnellement parlant, je peux à nouveau partager ma vie avec quelqu’un sans craindre de « clashs » au milieu de la nuit. J’ai le sentiment d’avoir enfin trouvé un équilibre, personnel et professionnel, après 10 ans d’adaptation et de recherche de solutions pour vivre heureuse avec la narcolepsie. Malgré tout, je reste inquiète du caractère illégal de l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques.
Même si cette solution est, pour moi comme pour ma neurologue, la plus adaptée aux réalités de ma maladie, je vis dans la peur constante d’être contrôlée et jugée pour son utilisation. Bien que je ne fume que le soir au coucher et que les effets se dissipent avant mon lever, je crains que des traces de CBD ou de THC restent détectables lors d’un éventuel contrôle salivaire et mettent en péril mon permis de conduire, indispensable pour me rendre au travail.
Aujourd’hui, j’espère que les propriétés médicinales du cannabis et leurs réponses aux problématiques de certaines maladies seront enfin reconnues, pour permettre à de nombreux malades qui, comme moi, ont retrouvé un certain équilibre grâce à son utilisation de vivre sereins et heureux, sans craindre d’être punis par la loi.